J'habite les recoins où tu n'oseras jamais regarder.
J'habite le sang entre les coups de sabre et le champ
de bataille.
J'habite le rythme entre les pas et la marche.
J'habite la sécheresse entre les gouttes de l'averse.
J'habite l'accélération
au cœur de tout ce qui est immobile.
J'habite l'espace inaccompli entre ton lit et ta
chambre.
J'habite le souffle entre tes mots et tes lèvres.
Tout est neuf.
Et rien n'a changé.
Nomade.
J’habite le vide
qui unit les mondes.
J’habite un
serpent entre la morsure et le venin.
J’habite les
instants qui dévorent les secondes.
J’habite le rail
entre le voyage et le train.
Envoie tes
polices. Envoie tes armées.
J’irai là où porte
mon regard.
Je deviendrai le
paysage qui traverse tout
Et par tout est
traversé.
Erige tes murs et
plante tes frontières.
J’irai là où porte
mon regard.
Je deviendrai
nuage portant le ciel
Et par le ciel
emporté.
Envoie ton dieu,
ses enfants et ses valets.
J’irai là où porte
mon regard.
Je deviendrai
silence pour déchirer
La pensée de ceux
qui ont arrêté de penser.
Envoie tes
vestales et tes putes sacrées.
J’irai là où porte
mon regard.
Je deviendrai la
tentation pour être tenté
Et par les désirs,
arraché.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
J’habite l’enclume entre la forge et le bouclier.
J’habite le bœuf entre le paysan et la prospérité.
J’habite le levain entre le pain et le boulanger.
J’habite le geste entre la solitude et la beauté.
Je te donne tout cela. Je te donne tout ce que
ton regard peut embrasser. Je te donne la terre, la mer, les monts, les vallées.
Je te donne le ciel, les nuages, les astres, le jour, la nuit. Je te donne tout
ce qui est à moi et que je ne possède pas. Je te donne tout ce qui te revient
de droit. Je te donne ce qui est à toi. Je te donne cet univers auquel tu
appartiens. Je te donne le rêve, l’envol et l’esprit. Je te donne la joie,
l’amour, la vie. Je te donne l’origine, ta fin et tes débuts. Je te donne ton
corps, tes désirs et ta liberté. Je te donne la parole, tes mensonges et ta
vérité. Je te donne tes peurs, tes blessures et ta solitude. Je te donne ton
ivresse, ta responsabilité et ta finitude.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
J’habite la saveur entre l’épice et le goût.
J’habite les armes entre la souffrance et la
révolution.
J’habite la tension entre la flèche et la cible.
J’habite la noyade entre le crime et la rédemption.
J’ai entendu une voix qui roulait sur le versant
obscur de la montagne. J’ai entendu une voix qui disait : « Tu
lâcheras tout. Tu abandonneras tout. Tu verras tout se dissoudre dans la
lumière. Tu verras la fin avant qu’elle ne s’abatte et tu sentiras l’aube avant
qu’elle ne surgisse. Tu mourras à l’heure prévue. Mais tu renaîtras contre
toute attente. Tu renaîtras vide. Tu renaîtras autre. Tu renaîtras sans
limites. Après avoir connu la peur, tu connaitras la joie. Et tu seras sans
désirs. Tu seras sans rêves. Tu seras sans mensonges, sans reflets, sans
possessions. Tu seras sans histoire, sans futur, sans passé. Tu seras sans
couleur, sans haine, sans poids. Sans allégeance, sans défiance, sans
attachements. Sans espoir, sans chemin, sans ornements. Tu seras sans
doutes, sans forme, sans hésitation. »
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
Il y a quelque
part
Une flamme qui ne
s’éteint pas
Une eau qui ne
s’écoule pas
Un air qui ne se
mélange pas.
Il y a
Un cœur qui ne bat
pas
Un œil qui ne voit
pas
Une oreille qui
n’entend pas.
Le monde est
immense.
Il y a quelque
part
Une obscurité faite
de lumière
Une plénitude
faite de vide
Une musique faite
de silence.
Il y a dans ce
monde
Une beauté nimbée
de mystère
Des êtres qui
diffusent la magie
Il y a
Des dieux qui
n’écoutent aucune prière
L’implacable élan
de la vie.
Le monde est
immense.
Il y a quelque
part
Un rêve dont on ne
se réveille pas
Un pays dont on ne
revient pas
Une chute au bout
de laquelle on ne s’écrase pas.
Il y a quelque
part
Des arbres qui
savent marcher
Des animaux qui
savent parler
Des hommes qui
savent rêver
Des femmes qui
savent voler.
Croyez-moi
Le monde est
immense.
J’habite la mesure
entre la voix et l’écho.
J’habite la
musique entre la corde et le silence
J’habite la sueur
entre le désir et la peau
J’habite les râles
entre le plaisir et la jouissance.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
Dévoile ! Des
voiles et des voiles.
à perte de vue,
jusqu’à l’horizon.
Des voiles en
partance
emplies de fougue,
d’audace et de
vent.
Des voiles et des
voiles et des voiles.
blanches, légères
et arrondies.
Des voiles
enceintes
d’ailleurs,
tendues vers les
lointains.
Dévoile ! Des
voiles et des voiles
qui m’emmènent,
me dénomment
et m’offrent
au bord abyssal du
temps.
Des voiles !
Dévoile !
dévoile ta douce
peau terrestre,
dévoile pour moi
ton corps voyage,
ton corps chemin,
sillage d’un
univers
arraché.
Dévoile ! Des
voiles ! Des voiles !
tes orgasmes et
tes tremblements,
tes râles et tes
chuchotements
et l’envol qui me
vide
m’emplissant,
la chute qui me
nomme
m’abolissant,
et je ne suis plus
que
cet humble espace,
qui dans les
voiles ventrues,
accueille le
mystère du vent.
J’habite le
papillon entre le rêve et les battements d’ailes.
J’habite la foudre
entre la flamme et l’étincelle.
J’habite l’angle
mort entre l’œil et la vision.
J’habite
l’éternité entre inspiration et expiration.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
Il y a dans la vie des instants magiques où il n’y a
rien. Tu emballes ce qu’il te reste d’affaires. Tu ranges tes livres dans des
cartons. Tu mets tes vêtements dans des sacs qui ne te ressemblent pas. Et tu
regardes calmement l’espace s’écrouler. Il n’y a rien. Tu n’as plus aucun moyen
de te définir. Il n’y a plus un lieu au monde que tu puisses nommer. Enfin. Il
n’y a rien. Il y a dans la vie des instants où il n’y a rien. Tu laisses partir
l’être aimé et tu regardes son dos tremblant se fondre dans le paysage. Tu
cherches tes souvenirs mais rien ne te vient. Ton cœur s’effiloche hors de ta
propre tristesse. Et tu observes calmement ton éternelle solitude. Il n’y a
rien. Il n’y a plus de refuge, plus de lest, plus de mots pour te rassurer.
Enfin. Il n’y a rien. Il y a dans la vie des instants magiques où il n’y a
rien. Tu cherches du regard la côte du pays que tu viens de quitter mais la mer
t’a déjà enveloppé de sa brume. Tu voudrais saluer ceux que tu as laissés sur
le rivage mais tes gestes ne peuvent remonter le temps et ton avenir n’a pas
encore de visage. Et tu tournes calmement tes yeux vers le temps qui vient. Il
n’y a rien. Plus aucun bateau ne pourrait te ramener. Tu seras libre, à jamais étranger.
Enfin. Il n’y a rien.
J’habite l’aveuglement entre le reflet et la lumière.
J’habite l’homme entre le dieu et la prière.
J’habite le verbe entre la parole et la poésie.
J’habite l’incroyant entre le prophète et l’hérésie.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.
Il est temps de mourir ici et laisser s’éteindre les
espaces. Il est temps de mourir pour commencer. Penser la limite de la pensée
et nu, voir le monde nu. Il est temps de mourir ici et retrouver un temps sans
direction. Laisser les formes se suicider dans leurs masses inutiles. Il est
temps de mourir ici et libérer la vie. Rompre toutes les attaches pour naviguer
les flux de l’immense. Il est temps de devenir aile et rire et joie et
poussière. Il est temps de se souvenir de soi, de la terre et de l’oubli. Il
est temps de s’éveiller danse, lumière et furie. Il est temps de chevaucher les
dunes. Il est temps d’embrasser le vent. Il est temps de tutoyer les étoiles.
Intact. Arriver entier et repartir entier. Uni à un
monde entier avant soi et entier après soi. Intacte ! La terre que tu
quittes. Intacte ! La nature que tu trouves. Intact ! Le cœur que tu
emportes. L’amour que tu laisses. L'amour que tu reprends.
Nomade.
Tout est neuf et rien n'a changé.