dimanche 29 septembre 2013

L’ombre douce qui balaie les crêtes 4ème Partie




6
            Je courais dans la ville. Une ville. Que je connais et ne connais pas. Je courais et devant moi une femme. Que je connais. Que je ne connais pas. Elle courait devant moi, me fuyant. Je sus qu’elle me fuyait. Et je courais. Je criais son nom. Que je connais. Et ne connais pas. Et elle fuyait. Je l’ai vue tomber et je courus pour l’aider à se relever, la tenir dans mes bras, la consoler. Mais son cri m’a figé. Et elle se remettait à courir, s’éloignant de moi. Me distançant un peu plus après chaque chute, après chaque cri. Je courais dans une ville où je reconnaissais toutes les villes que j’ai connues. Poursuivant une femme où je reconnaissais toutes les femmes que j’ai aimées. Elle s’éloignait et la ville se figeait. Je courais. Et je commençai à voir les gens autour de moi et leurs mouvements lents. Je commençai à voir les fils ténus et nombreux qui retiennent les hommes dans leurs gestes immobiles et dérisoires. Je voyais cette immense toile qui couvre le monde empêchant tout de grandir, empêchant tout de s’effondrer. Je commençai à sentir les vibrations de la terre sous mes pas. Je commençai à sentir les flux de l’univers qui me traversaient. Je commençai à entendre les voix qui chuchotaient partout et en tout. J’entendis mon cœur, son cœur et le cœur du monde qui battait en nous. Je m’arrêtai. Et devant moi, je la vis s’arrêter. Elle se retourna et je la reconnus. « Je t’aime. » La nuit tomba sur moi. Absolument obscure. Absolument silencieuse. Quand je revins à moi, les lianes m’enserraient. Et la douleur. Un aigle immense aux yeux luisants, avait planté ses serres dans mes entrailles et dévorait mon cœur, le déchirant à coup de bec. Je crois que je hurlai. Et encore une fois, tout s’éteignit. Je flottais dans le vide. Sans sensations. Sans pensées. Je flottai longtemps. Hors du monde. Hors du temps. Et le brouillard vint m’envelopper.

7
            Je me retrouvai enfant. Et tout était plus grand. Le ciel plus haut. Et les murs. Je marchais dans une grande maison. La maison de mon enfance. J’avais cinq ans. Et j’avais traversé seul toute la ville pour revenir ici. Je traversai le jardin. En moi un calme et une détermination dont je ne me souvenais pas. Les hommes étaient assis dans la véranda. Je cherchai mon père mais ne le trouvai pas. Alors comme invisible, je traversai le silence des hommes et entrai dans la maison. Je parcourus un immense couloir. De l’une des portes, je vis ma mère en pleurs et j’entendis d’un coup les pleurs de toutes les femmes résonner. Ma mère me vit mais elle ne pouvait pas me parler. Elle n’avait pas de voix. Elle essayait. Elle me regardait. Mais ma mère n’avait pas de voix. Je restai immobile sur le seuil de la porte. En moi un calme et une compréhension dont je ne me souvenais pas. J’avais cinq ans et je marchais dans une grande maison emplie de silence et de pleurs. En moi une présence, en moi une conscience dont je ne me souvenais pas. Une femme m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais là ? » et ferma la porte. Sur ma mère qui me regardait ne larmes et sans voix. J’avais cinq ans. J’étais seul dans le couloir immense. D’un côté les pleurs et de l’autre le silence. En moi une force dont je ne me souvenais pas. Je marchai le long du couloir. De mes petits pas d’enfant, je marchai un temps infini pour parcourir une distance incommensurable. J’entrai dans la dernière chambre et fermai doucement la porte. Seule une bougie offrait sa lumière à la tête d’un berceau qui fut le mien, et qu’on s’était transmis de frère en frère, et où reposait le corps inerte du plus jeune de nous trois. Je savais qu’il n’habitait plus ce corps. Mais j’embrassai son front froid, je lui dis que je l’aimais et l’aimerai toujours. Je le remerciai d’avoir été parmi nous et lui dis qu’il me manquera. J’avais cinq et je ressortis de la maison. En moi un calme dont je ne me souvenais pas. Je fermai le grand portail sur les pleurs et le silence. Et m’en fus de mes petits pas d’enfant retraverser la ville.

8
         L’obscurité enveloppa tout et je m’en revins flottant dans le vide sans pensées. Quand je m’éveillai, les lianes étaient comme un habit doux qui m’enveloppait. Ma tête reposait dans le giron de cette déesse de la forêt, elle me fixait de ses yeux incandescents, caressait tendrement mes cheveux et chantait doucement. Je ne comprenais pas les paroles, mais je savais que c’était un chant de retour et d’acceptation. L’homme s’approcha pour regarder mon corps entier et son regard était comme un toucher qui m’auscultait jusqu’aux tréfonds de mon être. Il sembla satisfait, ma regarda dans les yeux et ses yeux semblèrent s’enflammer. Tout disparut, il n’y avait plus que ses yeux terribles, leur feu me consumait. Je sentis qu’il soufflait et ma conscience s’éteignit comme une minuscule bougie.

9
         Le silence, profond et apaisé. L’obscurité, pure et sans doutes. Puis une ligne de lumière me tira vers un autre monde. Ce fut moi, mais ce n’était pas moi. Mon corps, vieux, abîmé, plié. Ma pensée, tremblante. Mes gestes, incertains. Je marchais, je me trainais plutôt, à petits pas de vieillard, marécageux, irréguliers, timorés. Dans un monde fantomatique, je percevais des présences, qui surgissaient par surprise, irrégulièrement, indéfinies, indifférenciées. Des gens, probablement, et des gens qui ne sont pas des gens. Je me déplaçais lentement, d’un point à un autre, sans but, grommelant des bouts de phrases, incompréhensibles. Seul et au-delà de toute compréhension. Mon chemin se peuplait et se dépeuplait alternativement. Je ne ressentais que de l’amertume et une colère impuissante et sans éclat. Et vinrent à moi les fantômes. Je levais vers eux une main faible et un regard brisé. Les amis que j’ai trahis. Les femmes que j’aurais pu mieux aimer. Les enfants que j’aurais voulu avoir. La famille que j’aurais dû préserver. J’essayais de les appeler, suppliant et coupable. Mais ils s’éloignaient, indifférents, hors de ma courte vision, loin de ce corps épuisé. J’avançais toujours sur ma ligne solitaire, sans but, sans raison. M’enfonçant dans mon propre désert, stérile et obscur. Les yeux secs, je pleurais. L’esprit vide, je souffrais. Coupé de tout, désespéré, seul, triste et épuisé. Et je la vis, clairement. Immense, phosphorescente, une hyène qui riait et ne riait pas. « Où étais-tu ? » lui demandai-je. Et elle me répondit : « Je ne t’ai jamais quitté. » C’était ma mort et elle venait me chercher. « Libère-moi ! » lui dis-je. « Je suis las, emmène-moi. Ça suffit. Ça suffit. » Elle s’approcha avec de la commisération dans le regard. Et à la vitesse de l’éclair, elle planta ses crocs de charognard en dessous de mon bras, du côté du cœur. Je sentis une grande douleur qui laissa rapidement la place à une peur intense. Je sentis tout en moi et hors de moi se défaire. Je vis mon être s’effilocher. Mes pensées, mes souvenirs, mes sentiments se dispersaient. Et tout mouvement s’arrêta. Mon temps fut suspendu. Le néant infini me prit. Il y avait quelque part un sentiment diffus, une vibration ténue, une tristesse et un refus. Qui ressent ? Qu’est-ce qui vibre ? Je ne savais plus. Je n’existais plus. J’entendis, alors, ma mort me dire : « Non ! Pas comme ça. Ici tu es et tu n’es pas. Et ton heure n’est pas venue. N’aie crainte, je te prendrai. Ça ne me suffit pas. Pas encore. Pas assez. Pas comme ça. » Et je l’entendis rire. Dans un sursaut je revins à moi. Tel que j’étais, tel que je me reconnaissais. Couché sur les lianes dans la clairière. Pendant un instant, je vis une hyène penchée sur moi, me regardant avec des yeux luisants. Je clignai des paupières et elle disparut. Je regardai le ciel, immense, vivant, infini. Les étoiles me souriaient. Et je sentis que je les aimais, sans espoir, sans attentes, sans doutes. Je les aimais et j’aimais ce monde. Et je savais que cet amour m’était rendu, entier.


(A suivre ...)

vendredi 27 septembre 2013

L’ombre douce qui balaie les crêtes 3ème Partie





5
Je sens venir l’obscurité. La nuit tombe soudain comme un voile. Je prends alors conscience de ma propre peur, une peur animale, incompréhensible. Elle me découpe en deux, puis en quatre, en huit. Elle me divise à l’infini sans que je sache d’où elle peut bien naitre, ni ce qu’elle montre. Je reste là, face à ces deux êtres surnaturels, magnifiques et terribles. Dans leurs yeux une lumière inexplicable que l’obscurité a révélé. Je suis pris dans leurs regards, aveuglé, incapable d’avoir la moindre pensée cohérente. J’entends des chuchotements. Des voix viennent de partout. Mais je ne discerne aucun mot. La femme opine doucement du chef. Des lianes sortent du sol et doucement commencent à me toucher, à parcourir tout mon corps, explorant toute ma peau, roulant sous mes vêtements. Les lianes me serrent, me tiennent et m’enferment. Je suis soulevé dans un filet végétal. Les lianes me portent dans le ciel de la clairière. Je suis terrifié mais leur emprise est dénuée de violence. Elles sont sûres, impérieuses et bienveillantes. Les bras écartés, le corps droit et immobilisé. Flottant entre ciel et terre, je regarde les étoiles. Je crois que je n’ai jamais vu autant d’astres dans le ciel, avec autant d’acuité. Libéré de ma propre pesanteur, j’entends enfin ce que disent les étoiles. Et je me dissous dans l’infini. Des particules de ce que je supposais être ma personne se révèlent dans le vide, comme des explosions sourdes et insignifiantes de sentiments que je reconnais. Peur, perplexité, abandon, colère, douleur. Et ça ne dure qu’un instant. Je retourne dans l’inconnu. J’essaie de raisonner, d’expliquer. Ma raison s’effondre ne laissant en moi que souffrance et égarement. Je hurle : « Silence ! ». Silence. Tout mon être n’aspire qu’au silence.
Soudain, une voix calme, qui vient de moi et hors de moi, prononce clairement : « Silence ! » Et tout s’éteint. Je ne suis nulle part. Je ne ressens rien. Je ne pense rien. Inconscient, je suis, simplement. Suspendu. Libéré. Je ne sais pas combien de temps cela dure. Le temps est aboli. J’entends un appel. Est-ce que quelqu’un a prononcé mon prénom ? Je ne sais pas si j’ai un prénom.
            L’instant me trouve marchant dans un épais brouillard. Je marche sans but. Je flotte peut-être. Je me déplace, je crois. Je ne distingue rien. Je traverse le brouillard. Je ressens ou peut-être j’imagine son épaisseur, sa densité. Au bout d’un moment, le brouillard se lève, s’éclaire. Je vois une lumière et la suis. Je vois un pont et le traverse.

(A suivre…)

jeudi 26 septembre 2013

L’ombre douce qui balaie les crêtes 2ème Partie





                4
Les arbres se parlent beaucoup dans cette forêt. Même moi, qui n’y connais rien, je les entends. Je m’enfonce en toute confiance parmi tous ces arbres. Pas après pas, les arbres me semblent plus âgés, leurs présences plus majestueuses, leurs voix plus profondes. Je marche dans le temps même. Mes pas sont faits de temps, mes pieds s’y enfoncent, mon nez sent son odeur, mes yeux voient son essence. J’avance et la lumière change, son jeu de couleurs devient plus sophistiqué. Je suis happé par la présence ancestrale de la forêt. Et la forêt sait que je suis ici. Je sens la conscience multiple des arbres me sonder. La forêt discute mon cas et questionne ma présence. Je continue à marcher, comme guidé, dans la mousse de plus en plus épaisse. Depuis longtemps, il n’y a plus aucun chemin, mais je sais sans aucun doute que je me dirige vers le cœur mystérieux de la forêt. Quelque chose, dans une région méconnue de mon corps, vibre d’excitation.
Je sais qu’il fait encore jour, là-haut, au-dessus des cimes. Mais ici, il fait presque nuit. Les arbres se font plus denses, leurs troncs plus larges. Leurs branches épaisses et enchevêtrées cachent complètement le ciel. Ils sont si anciens que leur mémoire semble prendre forme. Je crois voir des êtres se déplacer parmi eux et me guetter avec des yeux sans âge. Je commence à ressentir une certaine hostilité. Chaque pas me demande un effort considérable. Certains de ces vieux arbres sont réticents à me laisser passer. Mais c’est décidé, je dois continuer. J’avance comme dans un rêve, dans un monde de plus en plus inconnu. Comme une créature outrageusement jeune, scandaleusement éphémère, s’avance dans l’éternité. A plusieurs reprises j’ai défailli, je crois. Des branches m’ont soutenu, quand d’autres essayaient de me retenir au sol. A la lisière de mon regard, je perçois des mouvements furtifs. Mes oreilles captent des voix, des chuchotements, des bruits indéchiffrables et des bouts de phrases dans une langue inconnue. Troublé, dans un immense effort, je continue à marcher.
Je me déplace à peine. Je respire à peine. Je ne vois rien. L’obscurité m’enveloppe presque complètement. Je suis embourbé dans la mousse d’un temps colossal. Autour de moi, les arbres grondent, agressifs, terribles, infiniment grands, infiniment anciens. Je me déplace avec une extrême lenteur qu’on pourrait confondre avec l’immobilité. Tout me parait inquiétant et fantomatique. Je sens planer une incompréhensible menace. Je pense rebrousser chemin. Mais je sais avec certitude et au-delà de toute logique que si je me détourne la forêt me tuerait. Alors je continue à avancer, difficilement, pendant un temps incalculable. Les arbres sont si denses que je me faufile à tâtons entre les troncs. Des branches semblent me guider et d’autres me poussent et m’écorchent. J’étouffe et ne vois plus rien. L’épuisement m’accable. Je ne sais plus si j’avance encore.
Je crois que je perds connaissance. Une clarté soudaine m’aveugle. C’est comme si un voile s’était levé devant sur le jour. Comme si les arbres eux-mêmes s’étaient écartés pour me laisser passer. Devant moi s’étend une large clairière, les arbres noueux et immenses forment un cercle parfait la délimitant. Une herbe tendre la couvre et des fleurs de mille sortes et de mille couleurs. Des oiseaux gais y volètent et de nombreux animaux s’égaillent dans tous les sens. La sérénité qui habite l’endroit m’abasourdit. Je suis figé et comme dans un rêve je reste à contempler toute la vie et tout le calme qui émanent de cet endroit. Combien de temps ai-je pu passer dans la forêt ? Des heures ? Des jours ? Je n’en sais rien. Peu importe ! Je suis ici. Est-ce vrai ? Est-ce que cet endroit existe vraiment ?
Comme une réponse à mes questions, j’entends un rire profond et doux. Quelqu’un est là, assis presque au centre exact de la clairière. Je sens son regard sur moi, et le rire qui m’est adressé. Comme tiré par une force invisible je m’avance vers lui. Il a l’apparence d’un vieil homme. Son visage est ridé, parcheminé par une longue vie, mais ses traits sont fins et joyeux. Aucune décrépitude ne semble accabler son corps. Sa main enfoncée dans le sol parait vigoureuse et tendue, les herbes semblent s’être enroulées autour de son poignet. Négligemment, son autre main caresse l’air en rythme. Quand j’ai regardé ses yeux, un silence se fit en moi. Son regard est si franc, si clair. Les yeux d’un vert pâle, comme je n’en ai jamais vus, me regardaient. Juste ça, me regardaient. Dans le sens le plus simple, le plus entier, du verbe regarder. Sans effort, sans surprise, sans jugement, sans condescendance, je suis vu. Entièrement vu. Je m’assois face à lui dans l’herbe douce. Je crois voir les herbes lâcher en douceur son poignet et retourner à la terre.
Sans un mot, il me tend une sorte de bol en bois. J’avoue que je m’attendais à quelque breuvage magique et mystérieux mais ce n’est que de l’eau, très claire et très pure. Réalisant que j’avais très soif, je bois avidement et avec reconnaissance. Mon épuisement me quitte et je reste assis là, sans aucun besoin de parler. Mes pensées sont suspendues et je goûte simplement ce calme inédit. Le vieux ne fait que me regarder en riant doucement, alors que quelques animaux s’approchent de moi avec de moins en moins de crainte, me reniflent, me touchent et s’éloignent calmement. De petits rongeurs viennent escalader mes genoux. Des oiseaux se posent sur mes épaules et ma tête avant de reprendre leur danse aérienne.
Je ne sais combien de temps cela dure. Le soleil est caché par les arbres et la lumière a fortement décliné. Une excitation nouvelle s’est emparée de la clairière. Je la sens dans l’air, dans les plantes, dans le ballet des animaux. Moi-même je suis pris dans cette excitation et cette attente. Le vieil homme ne rit plus. Les yeux fermés, il semble encore plus attentif. Sérieux et concentré, il attend, présent et comme étendu dans l’espace. Soudain, il se commence à chanter. Sa voix se déploie, étonnamment mélodieuse, claire et puissante. Les harmoniques qui la traversent font tout vibrer. Mon corps entier résonne à cette voix. Je ne comprends pas les paroles. Je ne reconnais pas la langue. Mais cela n’a aucune importance. Ce chant vient du fond des âges et semble s’adresser à un inconnu qui a toujours sommeillé au fond de mon être. Il me transporte et m’émeut. J’en tremble. Et la forêt, toute la forêt, répond dans un chœur parfait. Je crois voir toutes les voix enchevêtrées comme des branches entrelacées, se soutenant, s’équilibrant dans un parfait accord. Le vieil homme chante et la forêt répond. Puis un silence se fit. Une nouvelle voix vient de loin. Infiniment féminine, surnaturelle et emplie de joie. Je crois que les larmes coulent sur mon visage. Je crois que l’herbe devient plus verte et pousse à vue d’œil. Je crois que les fleurs s’épanouissent et leurs couleurs deviennent encore plus éclatantes. Ce chant est comme une lumière qui éclaire tout et emplit d’une vie joyeuse tout être et toute chose.
La voix se rapproche amenant une joie de plus en plus intense. Le vieil homme, la forêt et cette voix entonnent en harmonie le chant d’un monde merveilleux que je découvre maintenant partout. Parfois une douce mélancolie apparait mais une profonde joie vient la recouvrir. Il y a une telle majesté, une telle beauté dans ce chant que je ressens une irrépressible envie de m’y fondre. Et malgré moi je chante. Le vieil homme parait se redresser, devenir plus fort. Il est maintenant debout. Très grand, vigoureux, il domine la clairière de sa taille. A chaque instant, il semble rajeunir. Le chant devient une douce caresse, un hymne amoureux. Et elle apparait en chantant à l’orée des arbres. Une jeune fille, presque une adolescente, d’une beauté surnaturelle. Elle est presque nue, des lianes et des feuilles ceignent son corps. J’ai le souffle coupé par la proximité et l’inaccessibilité de cet être. Je distingue les formes parfaites de ce corps et je suis écrasé par cette incroyable présence. Est-ce du désir que je ressens ? Cette fascination qui frise la folie, est-ce du désir ? Mon être tremble, mon cœur sursaute, mon sexe durcit. Une vague brûlante inonde ma peau et des larmes emplissent mes yeux. Est-ce du désir ? Une émotion qui n’est pas de ce monde m’arrache et me met au bord d’un gouffre. Et je prends soudain conscience de la distance qui me sépare de cet être. Je réalise l’ampleur de sa présence, la réalité de sa beauté. Je ressens une profonde gratitude et mes larmes coulent joyeuses et douces. Un silence apaisé s’étend sur toute chose. Elle avance d’un pas sûr et léger. A chaque pas elle mûrit et se transforme, son corps perd ses formes d’adolescente pour acquérir des formes encore plus belles de femme. A chacun de ses pas, l’homme rajeunit, se redresse, son visage gagne encore plus de caractère et de force. Une immense énergie se dégage d’eux deux, une profonde sagesse et une grande majesté. Quand ils se retrouvent au centre de la clairière, ils ont sensiblement le même âge et il y a entre cette ressemblance indéfinissable que fait naître la complicité des amoureux. Elle a des yeux bleu-vert clair comme je n’en ai jamais vu, emplis d’une tendresse malicieuse. Ses cheveux noirs avec des mèches blanches lui arrivaient à la taille. Elle est grande, son corps absolument féminin recelait une force tranquille. Ils se regardent longuement avant de s’assoir face à moi, sans se départir de leur joie et leurs sourires.


samedi 21 septembre 2013

L’ombre douce qui balaie les crêtes 1ère Partie




1
C’est l’heure, comme à chaque fois, comme chaque heure. C’est toujours l’heure. Celle qu’on attend et celle qu’on n’attend pas. Avec ou sans les alarmes. Avec ou sans l’appel des minarets ou le chant des cloches, les voix des animaux ou les bruissements des végétaux. C’est l’heure. Simplement. Voilà ! C’est l’heure saine ou folle. L’heure où tout se termine et commence. Eternellement. Continuellement.
Je devrais cesser de compter les heures. Je devrais cesser de faire attention au tic-tac des horloges. Je devrais cesser d’égrener le chapelet infini des attentes et des regrets. C’est ce que je me disais quand un rayon rebelle du soleil m’a réveillé dans un endroit inconnu où aucun chemin dont je me souvenais ne pouvait à priori me mener. J’étais couché sous les arbres. Je ne m’y connais pas en arbres. Je ne saurais pas les nommer. Alors, je dirais que ce sont juste des arbres. J’étais couché, là, sous les arbres.
Question : Qu’est-ce que je peux bien faire ici ?
Réponse : Je n’en sais rien.
Question : Qui suis-je ?
Réponse : Quelle est la question suivante ?

2
Tes rêves d’enfant, belle princesse ! Tes rêves d’enfant ! Qu’en restera-t-il ? Qu’en restera-t-il pour nous ? Nous, les sans-noms, les errants, les bannis des clans. Qu’en restera-t-il pour nous, nous les sans-toits, les sans-chemins, les impénitents ? Quand tout sera consumé dans l’égoïsme et la mort. Quand tout sera dépourvu de mouvement et d’incandescence. Que restera-t-il pour nous des rêves de ton enfance ?
Tu sais, je ne suis pas d’ici et tu ne peux pas comprendre ce que je fuis. Tu sais, le monde est immense et il y existe des choses, des êtres, des forces que seuls peuvent connaitre ceux qui s’y frottent. Je suis nouveau ici. Nouveau. Et je ne comprends pas, ici, tous les êtres et toutes les forces. Je sais que j’en combattrai certains et m’en allierai d’autres. Et au fond, je m’en moque, je ne fais que passer. Tu sais, le monde est immense.
Tes rêves d’enfant, belle princesse, parfois blessent ma peau et perturbent mes sens. Je me retiens, parfois. Je retiens en moi les velléités du combat et la soif de violence. Je ne suis pas d’ici. Je sais, avec certitude, que toi et moi ne voyons pas le même monde et tes rêves d’enfant ont très peu à voir avec les miens. Les monstres qui peuplent mon monde ne peuplent pas le tien. Mais qu’importe. Je ne suis pas d’ici. Et le monde est immense.
Je respire tellement mieux quand il n’y a pas âme qui vive entre moi et l’horizon. Les morts, je m’en accommode et les disparus et les revenants. Tes rêves, belle enfant, ne me concernent pas et les terreurs qui les traversent ne sont pour moi que des contes transmis par les générations. Regarde ! Regarde ! L’herbe est folle par ici et les arbres grondent leur vie. L’espace est devant moi, sans fin. Je suis libre parce que je ne sais pas comment je me suis retrouvé ici. N’est-ce pas miraculeux d’être ici, sans conscience, sans nom, sans identité, avec un nouveau souffle et l’irrésistible envie de marcher ? Juste marcher. Tu peux regarder la direction où je vais. Et qui sait ? Le monde est immense.

3
Bonjour espace ! Nous voilà enfin seuls. Tu peux révéler tes présences. Personne ne regarde. Tu peux dire tes secrets. Personne n’écoute. Et si la parole me vient, je chanterai mes rêves de mouvement et mes rêves d’immobilité. En tête à tête avec tout l’espace, je pose mes pas dans l’infinité des plaines et je vais où le monde va. Que puis-je faire de mieux ?
J’ai essayé par principe d’éviter la tempête qui naissait depuis un moment devant moi. Mais je savais qu’elle m’était destinée et qu’aucun pas de côté ne pouvait m’épargner sa fureur. Et nous nous retrouvâmes à point nommé. Je n’ai pas ressenti de crainte. Et ce n’était pas un désagrément. Ce sont les éléments, l’espace et moi et la nécessité de la discussion. J’aime ces forces sans jugement qui renforcent ma vie et affirment ma détermination. J’ai avalé un éclair, embrassé le tonnerre, traversé le vent caressé la pluie. La tempête et moi, nous avons dansé, nous avons chanté puis nous nous sommes séparés. Nous courûmes sur l’arc-en-ciel, nous promettant de nous retrouver.


...