samedi 31 août 2013

Ouvre !



OUVRE !

Ouvre !
Ouvre !
Ouvre cette porte !
Ouvre !
Quelqu’un attend.
Ouvre !
le monde est là-dehors
clair et ombragé
riche et immense.

Ouvre cet œil
et nourris ton âme de couleurs
Hors de toi
il y a toutes les teintes qui manquent
et en toi rien ne manque.

Ouvre cette porte verrouillée
il n’y a ni serrure ni clé
il n’y a aucune formule
aucun sésame à posséder
Ouvre cette cage rouillée
laisse les bêtes se déchainer
laisse le monstre devenir
laisse la vie advenir
laisse le monde s’achever.

Ouvre ton ventre
laisse s’écouler tes viscères
Qu’as-tu à faire de tous ces organes ?
Pour pouvoir s’emplir il faut savoir se vider.

Ouvre !
Ouvre tes mains
laisse partir cet air
que tu as cru attraper.
Ouvre tes mains !
donne tout ce que tu n’as jamais possédé.
Ouvre tes mains !
Laisse la douceur s’y reposer
Laisse les maladresses les blesser.
A quoi peuvent servir des mains fermées.

Ouvre !
Ouvre tes oreilles !
Ecoute !
Laisse les cris te transpercer
Laisse les paroles te disperser
Ecoute ce qui est tû
Entends ce qui est caché
Laisse la musique te dissoudre
Laisse le chant t’emporter.

Ouvre tes veines !
laisse ton sang abreuver la terre
laisse le vivant envahir tes artères
Ouvre tes veines !
L’extinction est le seul avenir
pour un sang qui ne sait pas se mélanger.

Ouvre !
Ouvre une brèche dans le mur
Ouvre un ciel dans la réalité.
Rêver est combattre ce qui semble fixé.
Ouvre un chemin dans la jungle
Ouvre la boîte fermée
Ouvre un champ au possible.

Ce qu’il y a là-dehors est sauvage.
Ce qu’il y a là-dehors est magnifique.

Ouvre !
Ouvre la cage au fauve impatient !
Ouvre une ligne pour la magie du moment !
Tu n’as pas le temps.
Ouvre !
Tu n’as pas le temps.

Ouvre ta fenêtre
aux sérénades de la beauté !
Aucun espace n’est fait pour rester fermé.
Ouvre ce monde qui attend !
Ouvre le portail du temps !

Il y a ci-dehors une vie qui palpite
et qui éternellement se réinvente.
Il y a ci-dehors des formes innombrables
qui sculptent l’espace éphémère
et qui rivalisent en ingéniosité.
Il y a ci-dehors d’irréfutables miracles
d’une incroyable simplicité.
Il y a de saines folies
et de folles raisons.
Il y a des mensonges indiscutés.
Il y a des vérités oblitérées.
Il y a ci-dehors des porteurs de magie
et des porteurs de désert.
Il y a ci-dehors les créations du chaos
et les étoiles qui dansent.

Ouvre !
Ouvre ce cocon usé
cette enveloppe obsolète.

Ne trouves-tu pas qu’on étouffe ici ?
Si nombreux dans cet espace exigu
on grandit à vue d’œil et notre refuge rétrécit.

Ouvre !
Ouvre les écoutilles !
Tu ne te noieras pas.
Ouvre-toi aux surfaces
et ouvre-toi aux abysses.

Tu ne te noieras pas.
Tu ne te perdras pas.

Ouvre-toi au bonheur
Ouvre-toi au présent infini
Cesse de retarder la vie
d’ajourner la joie
de repousser le calme !

Ouvre-toi à l’instant plein
aux moments irremplaçables
Ouvre-toi à la nature
à l’inhumain
au sauvage
à l’indifférencié !

Ouvre-toi à l’insouciance
au jeu
à l’artifice !

Ouvre-toi au simple
au plaisir
au doux !



Ouvre !
Ouvre les champs !
Ouvre les eaux !
Ouvre les enclaves !
Ouvre les prisons !
Ouvre les coffres !
Ouvre les frontières !
Ouvre l’avenir sans limites !


Ouvre tes bras
aux corps qui s’avancent
Ouvre tes pores
à la lumière
Ouvre tes cellules
aux flux du cosmos
Ouvre la terre
pour les volcans furieux
Ouvre les cieux
pour les nuages qui dansent.

Ouvre la pensée
pour l’inconscience
Ouvre l’esprit
pour l’inconnaissance
Ouvre ton sommeil
pour que le vent s’y engouffre
Ouvre ta veille
pour que le rêve l’habite
Ouvre ta science à la folie
Ouvre ta joie à la magie
Ouvre la nuit au jour
et ouvre le jour à la nuit
Ouvre tout ce qui existe
à la vie
Ouvre ta bouche
à la parole inaudible.
Ouvre la matière
aux ondes sensibles.

Ouvre ta hauteur
aux gouffres
Ouvre les abîmes
au rire
Ouvre une voie
pour l’insouciance
Ouvre un intérêt
pour l’indifférence.

Ouvre un dictionnaire
pour l’innommé
Ouvre une route
pour l’inconnu
Ouvre un trou
dans l’éternité.

Ouvre le livre scellé.
Patiemment brise les sceaux
un à un
et libère toutes les puissances
endormies.
Affronte ce monde nouveau
sans ciller.
Ouvre ce qui a été fermé.
Ouvre le cœur de Pandore
et abolit tous les maux
qui s’y sont cachés.

Ouvre ce cœur
à l’amour qui est
à l’amour qui vient
et à l’amour qui a été.

Ouvre ce cœur
pour tous ceux qui veulent venir
s’y réfugier.
Ouvre ce cœur
au souffle vibrant
de la divinité.

Ouvre ce cœur
à tout ce qui existe
et à tout ce qui n’a pas
encore existé.

Ouvre !






dimanche 18 août 2013

La Devineresse



Je n’avais rien d’autre à faire qu’attendre. J’errais dans cette ville inconnue, jusqu’à l’heure de mon train. Ecrasé par la chaleur torride, je cherchais l’ombre des petites ruelles mais le soleil de midi était décidé à me trouer le crâne. Je ne trouvai aucun café où me réfugier. Les commerces étaient fermés, à l’exception d’une petite boutique sans enseigne. Dans la vitrine, il y avait des statuettes dont je ne pus deviner l’origine, des masques terrifiants et anciens et des objets dont je ne connaissais ni l’usage ni l’utilité. J’étais attiré par la pénombre à l’intérieur espérant trouver un peu de fraîcheur. Quitte à acheter une babiole quelconque. Quelques bougies brûlaient ici et là. Il régnait un silence apaisant. La boutique était fraîche et déserte. Je circulais parmi les étals regardant les masques, les fétiches et tous ces objets mystérieux. Une petite fille blonde aux yeux verts brillants apparut de nulle part me faisant sursauter. Elle me regarda fixement et me dit : « Elle vous attend » en me montrant du regard une porte que je n’avais pas remarqué et qui s’ouvrit en silence. Je lui demandai : « Qui m’attend ? ». Elle haussa les épaules dans un geste dédaigneux qui n’avait rien d’enfantin. Dès que je la quittai des yeux elle disparut comme elle était venue. Par la porte, j’entrai dans un petit cabinet. Les tentures sur les murs, les bougies éparpillées, une table ancienne avec des fauteuils se faisant face donnaient à l’endroit un aspect féérique et intemporel. Sans réfléchir, je m’assis, caressai le bois. Quand je levai les yeux une grande dame était debout devant moi. Elle était vieille mais ses mouvements contredisaient ce que je supposai être son âge. Si ce n’était ce regard intense, j’aurai cru que c’était une jeune fille déguisée. Sans me regarder, elle s’assit face à moi. Un chat blond sauta soudain sur la table, me regarda fixement de ses yeux verts avant de se désintéresser de moi et aller se coucher sur les genoux de la femme qui le caressa doucement avant de lever les yeux et me transpercer d’un regard gris-acier dur et terrifiant qui se radoucit au bout d’un moment. D’un ton maternel, elle me dit : « Je suis contente que tu sois venu », elle ajouta avec un sourire malicieux « De toute façon, tu n’avais pas le choix ».



Elle fit tinter ses bijoux et la lumière bleuit. Après un long silence, elle parla. Elle me dit :

« Tu as déjà commencé, mais rien n’est fini.
Tu marcheras tous les sentiers de la guerre
sans jamais trouver la paix.
Et la guerre t’aimera
comme sa créature, son amant, sa chose,
son enfant chéri.

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autre.
Et l’amour attendra.

Mon fils,
tu arpenteras les jours
tu arpenteras les nuits.

Seul tu marcheras à la rencontre des monstres
tu connaîtras les secrets de la danse
et tu embrasseras les bras de la folie.

Tu fendras la foule
curieux, doux et inconnu.
Tu chanteras près des arbres majestueux
mais tu seras rarement entendu.

Tu entendras la voix du temps
sans la comprendre
Tu verras les couleurs vraies
sans pouvoir les décrire.

Tu te noieras dans les mots
et tu suffoqueras de silence.
Tu seras plein
Tu seras vide.
Tu seras touché par la joie
et enveloppé par l’absence
Tu offriras ton rire
et te cacheras pour pleurer.

Tu seras béni et tu seras damné
Tu seras haï et tu seras aimé
et tu ne sauras jamais quel est le plus difficile à supporter.

Tu voudras ce qui t’es refusé
et tu fuiras ce qui t’est donné.

Mon fils,
accepte la tristesse
et ne sois pas triste
accepte les souvenirs
mais abandonne la nostalgie.

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autres
Et l’amour attendra.

Tu auras des secrets
pour trouver le mensonge
Tu croiseras la trahison
pour rencontrer la loyauté.

Tu ne mourras pas mais tu seras tué.
Tu ne saigneras pas mais tu seras blessé.

Mon fils,
laisse tes peurs s’en aller
aie de la gratitude
pour la moindre chose qui t’est offerte
et pour tous les instants accordés.
Ne te hâte pas de distinguer
le mal du bien
le clair de l’obscur.

Parfois la vie t’aimera
pour que la mort
puisse te poignarder.
Et parfois la mort te caressera
pour que la vie
vienne te déchirer.

Quelques fois tu mentiras
seulement pour être cru.
Et tu diras la vérité pour être
rejeté.
Tu chercheras la corruption
pour pouvoir
contempler la pureté.

Tu fuiras sans être poursuivi.
Tu resteras quand tu seras menacé.

Mon fils,
sois rapide.
Mais apprends la patience.
Apprends que la faiblesse
est la vraie force.
Apprends que la réalité
est toujours la réalité
de quelqu’un
et que tout est
mystère insondable.

Mon fils,
sache que toute vie
est complète
rien n’y manque
et rien n’y est fortuit.
Tout est éternel
Tout se transforme.
Jamais rien n’est détruit.

Le désir
dispersera ton âme
et il te faudra
en ramasser tous les morceaux
pour redevenir entier
pour te rappeler qui tu es.
Tu traverseras le souvenir.
Tu traverseras l’oubli
sans jamais te décider lequel est plus doux.

Je vois en toi
une bête enragée
qui se réveille parfois
pour détruire
mordre
et ravager.
Elle est toi
et elle n’est pas toi
trouve comment l’aimer
comment la dompter.

Je vois en toi
une flamme ancienne
et de jeunes éclairs
qui se disputent
les espaces
alors que leur essence
est la même.
Vois le multiple
mais ne divise pas les choses.
Tout est un
entier et inséparable.

Tu douteras parfois
de ce que perçoivent tes sens
Tu feras des erreurs
et à travers ta douleur
tu apprendras
pour devenir plus fin
plus subtil.
Parce que tout ce qui est vrai est délicat.
La beauté est fragile.


Savoure les rencontres
et apprécie les séparations.
Ne retiens personne
ne laisse personne te retenir.
Tous les murs sont érigés
pour chuter
Toutes les prisons sont construites
pour s’effondrer.
Et être libre
c’est ne plus chercher la liberté.

Mon fils,
pleure autant qu’il faut
mais garde toujours
au fond de toi
un rire

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autres
Et l’amour attendra.

Tu connaîtras l’affection
et la véritable amitié
Tu connaîtras la chaleur
et la fête sans vanité
Tu sauras offrir
et tu apprendras à accepter
ce qui t’est donné.

Mais tu seras souvent isolé
Tu seras perdu et étranger
essayant de te satisfaire
de corps tièdes
et de sourires contrefaits.

Et tu trouveras quelques fois
une route pour te ramener
même un moment
là où tu pourras te reposer
avant que tu ne repartes
dansant de nouveaux chemins
chantant des airs oubliés.


Le monde est immense
et le temps est profond.
A la vue de tous
des trésors y sont cachés.
Tu pourras, si tu veux, les trouver.

Mon fils,
ne sois jamais avide
prends juste ce qu’il te faut
tu auras toujours ce qui t’est nécessaire.

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autres
Et l’amour attendra.

Longtemps tu poliras des masques
pour te ressembler.
Tu forgeras des armures
pour te montrer.
Tu affûteras des armes
pour les cacher.
Un jour
tu découvriras
que seul l’homme nu
est invincible.
Et quand tu accepteras la défaite
tu sauras vaincre
sans combattre.

Tu porteras ta fureur
comme un habit qui te cache
Tu porteras ta fureur
sans jamais la comprendre
tu seras fou
et tu seras bête
tu nieras ce que tu connais
et tu maudiras ce qui t’échappe
Contre le monde tu lanceras des imprécations
et autour de toi tu jetteras des sorts
Tu sèmeras les blessures
pour récolter les douleurs.

Et quand tu auras tout abimé
quand tu seras entouré de ruines
quand tu seras lassé de détruire
quand tu seras écrasé par la culpabilité
quand tu seras cerné par l’obscurité
quand tu ne seras que désespoir et fatigue
tu te laisseras choir par terre
et tu souhaiteras n’avoir jamais été
tu appelleras la fin
et tu invoqueras la tempête
pour t’achever.

Et elle viendra.
Oui, elle viendra.
Terrible et indomptable
Elle te tuera
sois en sûr,
et te ressuscitera
pour te tuer encore
dix fois,
non, cent fois
mille fois.

Elle te montrera sa fureur
et sa connaissance de la fureur.
Elle déchirera tes habits
et écorchera ta peau.
Elle brisera tes membres
et dispersera tes organes.



Elle te tuera
et te ressuscitera
jusqu’à ce que tu ne fasses qu’un avec elle
jusqu’à ce que tu deviennes la tempête
seulement alors
elle te crachera
dans une contrée lointaine
dans un monde inconnu.
Et si tu survis
peut-être seras-tu plus humble
peut-être seras-tu plus vrai.

Ne sous-estime pas
le mystère
de tout ce qui existe.

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autres
Et l’amour attendra.

Là-dedans,
Là-dehors,
il y a des mondes superposés
il y a des choses inimaginables
méfie-toi de l’ivresse du pouvoir
de la fièvre du contrôle
de l’illusion du savoir.

Là-dedans,
Là-dehors,
il n’y a rien
et ce rien est tout
ne sois pas stupide
ne sois pas avare
tu ne peux rien posséder
tu as tout
chéris ce qui t’est offert
et offre ce qui t’est nécessaire.

Mon fils,
tu connaitras des déceptions
tu auras honte
tu auras mal.
Tu passeras des jours à griffer les murs
et tu passeras des nuits à te tordre
sur le sol.
Tu trébucheras souvent
et tu tomberas parfois.
Trouve la force de te relever.
Trouve le courage de continuer.

Je sais que quelques rêves
te hanteront
et tu t’accrocheras
à quelques idées stupides.
Tu suivras des mirages
dans des déserts encombrés,
tu suivras des spectres
jusqu’aux confins
de l’insanité.
Tu chercheras
mais il n’y aura rien à chercher.
Tu t’es déjà trouvé.

Dans le monde,
beaucoup de voix appellent
mais ne crois pas que toutes les voix
n’appellent que toi.
Dans le monde,
il semble y avoir
beaucoup de chemins.
Ne crois pas que tous les chemins
mènent quelque part.
Et tous les chemins réunis,
ne peuvent mener partout.



Une vie est un voyage.
Avec quelques escales,
parfois des correspondances,
mais seulement deux
ou trois destinations.

Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a d’autres
Et l’amour attendra.»