On marchait dans une rue mal-éclairée. Seul. On ne
marche que seul dans une rue mal-éclairée. On marchait, donc. Un pas et un pas
et un autre puis un autre. Marcher. On croit que c’est ça. On croit que c’est
marcher. On marchait dans cette rue. Et la rue semblait infinie. Mal-éclairée,
elle continuait ou recommençait. On ne savait pas. On avait pourtant
l’impression d’avancer. Dans le même sens. On a marché longtemps avant de voir
cette femme, debout dans le halo flou d’un réverbère. Elle fait un pas, mais un
pas retenu, comme empêché. Elle semblait vouloir rester dans la lumière, dans
la sécurité du réverbère. On ne sait pas si un réverbère pouvait offrir une
quelconque sécurité. On se dirige vers elle, par réflexe, par politesse ou
juste pour chercher une autre présence que la sienne propre dans cet espace
vide, mal-éclairé. On fait dévier sa trajectoire, pour s’approcher. On s’attend
à une proposition, qu’on se donne le droit de refuser, mais qu’on veut bien
entendre déjà.
Quand vous avez
inventé la mort
je me disputais avec
mon ombre
à propos de la
teinte à donner
au ciel que j’ai
érigé.
Quand vous avez
inventé la mort
je bluffais aux
dominos
face à un dieu ivre
et un prophète
ensommeillé
J'ai...
ressuscité un pigeon écrasé trouvé au hasard dans une rue passante.
fait apparaître un soleil brûlant dans le ciel orageux de la grande ville.
fait disparaître un poteau électrique qui cachait les jambes de la fille assise à la terrasse du café d'en face.
devenu invisible et traversé à allure normale un barrage de police à la sortie de la gare.
deviné le numéro de téléphone de la plus jolie barmaid du quartier rien qu'en regardant ses fesses.
envoyé cinq courriers électroniques et une lettre d'amour sans rien écrire et sans jamais approcher un ordinateur.
fait tomber quatre dictateurs et provoqué une crise globale sans quitter le canapé.
On s’approche alors
de cette femme dont on distingue mal les traits dans la lumière sale du
réverbère. On voit alors le rouge à lèvres avant de voir le sourire qui semble
de travers. On se demande si c’est le maquillage ou est-ce le visage même qui
est de travers. On voit à ce moment là les yeux, profonds, rieurs et lointains.
On ne reconnait pas les yeux d’une prostituée, ni d’une femme ivre, ni d’une
personne perdue. La robe brillante, rouge et très courte, les cheveux
décolorés, tout cela apparait soudain comme un déguisement. Le maquillage même
devient un masque qui ne correspond pas vraiment au personnage. On ressent
alors un trouble. On a envie de fuir. Mais il est déjà trop tard. On est enveloppé
par la lumière du réverbère.
Quand vous avez
inventé la mort
j’étais fauve
j’étais pur j’étais violent
et mon souffle étais
uni à la jungle
Quand vous avez
inventé la mort
ma chair ne faisait
qu'un
avec la terre avec
tout ce qui vit
avec tout ce qui
chasse
tout ce qui est chassé
Transporter à dos de mule 25 kilos de plutonium à travers 3
frontières.
Danser pendant 6 heures au rythme d'une musique jamais entendue.
Et rêver, rêver au point de ne plus se souvenir, ni des rêves, ni de la veille.
Voler un joyau caché dans le cœur d'une reine.
Revendre 15 fois le même chameau.
Racheter 10 fois un même livre et ne jamais le finir.
Et pleurer, pleurer, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune larme.
Faire l'amour à la plus belle femme du monde, mais trop ivre pour s'en souvenir, l'apprendre beaucoup plus tard par ouï-dire.
Passer une année dans le corps d'un chat et habiter chez la voisine.
Et fuir, fuir, loin, si loin que la fuite même ne puisse plus être retrouvée.
Danser pendant 6 heures au rythme d'une musique jamais entendue.
Et rêver, rêver au point de ne plus se souvenir, ni des rêves, ni de la veille.
Voler un joyau caché dans le cœur d'une reine.
Revendre 15 fois le même chameau.
Racheter 10 fois un même livre et ne jamais le finir.
Et pleurer, pleurer, jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune larme.
Faire l'amour à la plus belle femme du monde, mais trop ivre pour s'en souvenir, l'apprendre beaucoup plus tard par ouï-dire.
Passer une année dans le corps d'un chat et habiter chez la voisine.
Et fuir, fuir, loin, si loin que la fuite même ne puisse plus être retrouvée.
On sait que quelque
chose ici ne colle pas. On ressent une profonde absence d’ordre. On essaie de
se souvenir du déroulement des faits. On se dit cela, le déroulement des faits.
Que les faits puissent se dérouler on trouve cela ridicule. Comment a-t-on pu
se retrouver ici ? Quel chemin a-t-on pu emprunter ? On se demande
pourquoi emprunter ? Est-ce qu’on devrait le rendre après ? Quel
chemin, donc, a-t-on pris pour se retrouver à parcourir cette rue mal-éclairée,
à se tenir dans la lumière fade d’un réverbère, face à une femme
déguisée ? On demande : Qu’est-ce qui se passe vraiment ? On
demande : Qui es-tu finalement ? On a juste un sourire pour toute
réponse. Un sourire carnassier. On voit l’éclat venimeux dans les yeux et on se
dit que ça sent l’épreuve ou la vengeance. Mais quelle différence ? Quelle
différence ? On résiste à la tentation de se demander qu’a-t-on pu faire
pour en arriver là. Et on se prépare. On se prépare à la violence.
Quand vous avez
inventé la mort
le monde dégustait
encore sa jeunesse
et j’étais amoureux
de la courbe de la route
quand elle
approchait la montagne volée
Quand vous avez
inventé la mort
mon téléphone était
coupé
les lianes me
portaient dans le ciel
et je n'entendais que
le chant
de la machine à
laver
18 balles calibre 12
et un fusil à canon scié
2 vices salvateurs
et un mensonge bien ciselé
5 mots anciens volés
dans un dictionnaire
un métal brillant et
une couleur jamais vue sur cette terre
4 ivrognes finement
arrosés
et 3 jeunes femmes
plantureuses artistiquement dénudées
Quand la femme
commence à parler, on fait semblant de ne pas comprendre. En réalité, on ne
comprend rien. Mais on fait semblant de faire semblant. On se dit que c'est une
blague puis on essaie de se souvenir. Et on prie. Est-ce bien le mot ? Peu
importe. On prie pour que ce ne soit pas elle. Parce qu'on l'a reconnue. Non.
On se trouve vraiment trop con de ne pas l'avoir reconnue plus tôt. Mais on
prie quand même. Pour gagner du temps. C'est elle. Il n'y a qu'elle pour sortir
de telles stupidités. Déguisée. Dans la lumière pourrie d'un réverbère. Dans
une rue mal-éclairée, qui n'existe même pas. Cette rue n'existe pas. Et là on
réalise qu'on rêve. Surtout ne pas se réveiller, ça gâcherait la nuit. On se
dit. Mais on sait que ce n'est qu'une excuse. C'est elle donc autant continuer
à rêver. Tout est possible du moment qu'on ne perd pas de vue que c'est un
rêve.
Quand vous avez
inventé la mort
je dégustais la
langue encore nouvelle
entre les seins
d’une sirène
sous l’eau je
n’entendais pas les hurlements
Quand vous avez
inventé la mort
je redescendais en
parachute
du paradis présumé
j’avais gagné au jeu
de l’oie
contre Saint Pierre
Dieu n’avait pas
apprécié
22 brunes 19 blondes
12 rousses
et une bleue
décolorée
une était tatouée
une avait le crane
rasé
l'autre était
névrosée
une était une bête
une était une
divinité
peut-être était-ce
la même
déguisée
10 étaient perdues
une seule a été retrouvée
On entend résonner
son rire. Un rire impossible. Un rire de folle où il n'y a plus aucune retenue
et qui résonne sans fin dans la rue, dans l'air et dans sa chair si séduisante.
Elle dit : Tu es dans mon rêve cette fois et ne crois pas que je vais te
laisser te réveiller. Ton charme cette fois ne te sauvera pas, ni ton sourire enjôleur.
C'est moi qui t'emmène, c'est moi qui te met en scène, c'est moi qui te fait
danser. Je serais ta mort et je serais bienveillante. Je serais ton dernier
amour et ta dernière chance. Mais n'oublie jamais, ceci est mon rêve. Et tu
suivras ma voix, tu joueras comme je te dis de jouer. Tu joueras avec moi. Tu
joueras pour moi. On se dit alors qu'on est foutu. Complètement foutu, cette
fois. Et on dit: Comme il te plaira. Et on se dit : mais quel con. On dit :
Rêvons.
...