vendredi 29 octobre 2010

Daimôn 3 - Divinités

On cherche. On fouille. Et parfois, on ne trouve pas. Oui! C'est qui? Étrangement, ça me rappelle le désert. Pour celui qui a connu le désert, la sensation ne s'oublie pas. Mais peut-être qu'on transporte son désert avec soi. On l'entretient. On le chérit. Et le désert a ses lois, ses rythmes, ses codes. Quand on rencontre quelqu'un dans le désert, on le traite comme un allié face à cette immensité. On lui offre le thé. On partage avec lui l'eau et la pitance. Même si c'est un ennemi et qu'il y aura un moment pour les armes. Rencontrer quelqu'un, c'est toujours un cadeau que le désert te fait. Et c'est inestimable. Et ici dans la multitude, j'ai cette même sensation. Les extrêmes se rejoignent, n'est-ce pas? La foule est un désert où on peut mourir, seul et assoiffé, dans l'indifférence inhumaine de l'espace. Et c'est peut-être pour ça que je me plais ici. Cette solitude impitoyable de l'étendue. Le mirage perpétuel de l'oasis qu'on croit approcher et qui sans cesse s'éloigne. Le désir toujours en éveil d'une eau plus claire, plus douce.

Oui-c'est-qui! Encore! Encore! Je vais finir par me rappeler!

Oui, il y a toujours ce rêve. Au milieu d'un rêve de réalité. Je me tiens en silence. A la fois seul et accompagné. Dans une solitude partagée. Ce n'est qu'un rêve. Un rêve. Je sais. Et l'espace n'est jamais hostile. Il existe. Simplement. Moi aussi. Oui. Nous. Nous existons. Sans résistance. Vivants. Exactement. Libres de nos gestes. De nos mouvements. Quand nos gestes se libèrent, deviennent amples. Peut-être excessifs. Peut-être seulement gracieux. L'espace ne s'en trouve pas dérangé. Il nous laisse faire. Nous accepte. Et par nous est accepté. Nous partageons une même existence. Une même vérité. Et ce n'est qu'un rêve. Je sais.

Pourquoi veux-tu que je parle moins fort.
Je n'ai encore rien dit d'offensant.
On se fait remarquer? Mais bien sûr.
C'est bien toi qui a choisi ce bar de vrais-vrais.
Tu n'as pas trouvé un coin un peu plus populaire
où on passerait pour des immigrés ordinaires.

Se faire remarquer! Il me dit!
Mais regarde un peu autour de toi.
Ils essaient tous de se faire remarquer.
Ils n'y arrivent pas! Bon!
Ils se ressemblent tous.
Je ne parlais pas pour toi, charmante demoiselle.
Tu es éblouissante. 
Comment s'appelle, déjà, ce que tu portes là?
Très excitant.
Non je ne veux pas savoir d'où ça vient.
De toute façon, je ne connais pas.
On se fait remarquer, tu as vu?
Il faut dire qu'on ne fait pas trop couleur locale.
Dis-moi! Comment t'appelles-tu jolie créature?
Julie? Ah! Jenny!
Je peux t'appeler Julie?
C'est des vrais cheveux ça?
Et ça c'est des vrais seins?
Fais voir!
Oh oui!
J'aime me faire remarquer, moi.
Tu veux savoir qui nous sommes?
Lui c'est mon vieux pote, Gil.
Lui c'est Monsieur T
et moi c'est moi
c'est ma vraie gueule
oui, la moustache, c'est une vraie.
A qui est-ce que je ressemble?
Connais pas!
Monsieur T fait la gueule parce que
ses déesses chéries lui manquent,
il a perdu un pari, 
et il trouve la société actuelle trop superficielle,
pas assez spirituelle, que ça manque de transcendance,
bla bla bla, de la politique, quoi!
Laisse-le! il va s'y faire!
Gil, lui, il est super super cool
sauf que des fois il stresse un peu trop
il pense beaucoup au travail
mais c'est normal
c'est le chef du groupe.
Si tu veux c'est ça!
Le leader du groupe
Quoi quel genre? Quel genre de quoi?
de groupe? de musique?
quelle musique?
Ah oui, oui! Du moderne
nous faisons du moderne avec des influences
anciennes, un peu, antiques, tout ça!
C'est ça! C'est ça! Exactement!
De l'expérimental!
Oui.
D'ailleurs, en parlant d'expérience, 
ça te dirait de faire un tour par là-bas,
Si j'ai de la drogue?
Non, le drogué du groupe arrive,
il ne va pas tarder.
Ah! Oui! Lui il est sérieux!
Moi aussi je suis sérieux d'ailleurs,
mais pas pareil!
Une fois on était en mission,
oui, oui, en tournée si tu veux,
il a mis je ne sais quoi dans mon oui-c'est-qui de l'époque
j'ai passé une nuit entière à courir dans les ruelles de Rome,
oui une jolie ville, je ne me souviens pas de tout, mais une jolie ville,Rome,
ça ne doit pas être tout à fait la même, mais je te crois.
Bref, j'ai passé la nuit
à poursuivre un petit chat à travers la ville
pensant que c'était Cerbère.
Oui, un petit chat. On a même discuté tous les deux.
Avant de...
S'il a souffert? 
Ça dépends ce que tu appelles souffrir.
Mon épée était toute neuve, très bien aiguisée,
alors quand j'ai coupé la troisième tête..
Mais quoi? Qu'est-ce que j'ai dit?
Pourquoi elle s'énerve? Qu'est ce qu'elle a?
...
Ah! Je n'ai jamais compris les femmes, moi!
Sers-moi à boire!
...
Quoi? Qu'est-ce qui se passe?
Pourquoi tout s'est arrêté?
Tu es tout pâle, Gil! Quoi?
Oh! Non! Oh! Non! Je rêve!
Ça c'est une entrée!
Si, moi, je me fais remarquer,
alors lui..
Gil, si tu pensais à une mission d'infiltration,
dans le genre on fait notre truc et s'en va, là,
c'est mort. Oublie! 
Même les dieux sous le Tartare
vont en entendre parler.
Avec ce gars là, c'est impossible.
Le mot discrétion ne doit même pas exister 
dans sa langue.
Quelle classe!
Ça c'est une entrée.
Même Thésée s'est réveillé.
Ça y est! Tout le monde est hypnotisé!
On est tous sous l'emprise.
Bienvenue dans une réalité perpendiculaire!
Moctezuma 1er Empereur et Sorcier
est arrivé.

A la porte du bar, un autre monde. Quelque chose de profondément inconnu. Moctezuma, habillé d'or et de peaux de jaguar était debout au milieu d'un groupe improbable de jeune gens des deux sexes, à moitié nus et étrangement peinturlurés. Deux belles jeunes filles n'avaient pour parures que des chaînes en or autour du cou et des dessins compliqués sur le corps faits avec ce qui semble être du sang. Tout était à l'arrêt. Ce n'est pas tant par le spectacle qui se présentait mais par la présence de cette homme venu d'ailleurs. Son intensité était intolérable. Plusieurs personnes dans le bar étaient en train de défaillir. Un homme. Mais est-ce bien le mot? Est-ce que c'est un homme qui se tenait là? Les yeux de Moctezuma brillaient d'un éclat sombre et féroce. Personne ne pouvait soutenir ce regard qui contemplait le monde d'une profondeur vertigineuse, d'un endroit inconnu. Plusieurs personnes étaient traversées par des visions dévorantes: des pyramides scintillantes, une jungle luxuriante, des fêtes et des rituels complexes, des batailles innombrables et l'éclat aveuglant du soleil. Qu'est-ce qu'un homme? Qu'est-ce que la civilisation? Ces questions étaient posées mais n'avaient plus d'importance. Il tenait tout le monde dans un champ de forces dont il était le seul à posséder les secrets. Cette présence incarnait une puissance surnaturelle, surgie du fond des âges. On aurait cru que toutes les personnes présentes allaient s'agenouiller. Pour tous, il n'y avait pas de mots, aucune pensée pour expliquer ce qu'il vivaient, aucune parole pour appréhender la vérité de ce moment. Ils étaient dépassés.

Thésée a été le premier à réagir:"Ça devient dangereux. Il va jeter un sort ou briser un sceau ou tuer quelqu'un ou pire encore". Gilgamesh acquiesça:"Il faut l'arrêter"."Ce n'est pas déplaisant de voir ça, j'ai dit, mais je crois qu'il a un peu trop forcé sur le cactus". Thésée et Gilgamesh s'avancèrent vers la porte et je les ai suivi. Nous semblions grandir, tous les trois, retrouver notre majesté, révélant une part de notre présence pour contrer toute cette puissance que l'Aztèque dégageait.
Ils l'entrainèrent dehors et je me retournais avec mon sourire le plus engageant, forgé par des siècles de relations publiques, je devais rompre ce charme terrible, j'annonçais aux gens subjugués: "Vous venez d'assister à un avant-goût du spectacle que nous jouons en ce moment au Théâtre des Nouveautés. Nous serons heureux de vous compter parmi nous pour les prochaines représentations." Le bar entier semblait respirer d'un coup, soulagé. Tout le monde était rassuré. Ah! C'était juste une mise en scène. Ouf! ce n'est que de l'art! Heureusement! C'est juste de l'art. Les discussions, la musique, le bruit des verres, tout reprit d'un coup. Il ne s'est rien passé. Juste un nouveau sujet pour les conversations. La vie normale avait repris parfaitement ses droits, quand je suis allé rejoindre les autres et préparer la bataille prochaine.

...
[A suivre]

mardi 26 octobre 2010

Daimôn 2 - Anamnesis

Heil César!
Nous qui allons mourir 
te crachons toute ta misère au visage
nous ne souillerons pas l'arène
de ton image
et nous ne salirons pas nos gestes
du silence de ta chute.
César!
Nous qui allons mourir
te rions au nez
et notre rire résonnera
au-delà de ta misérable mémoire.

dans un moment d'auto-survol
je me vois fou
courant dans tous les sens
rouage parmi les rouages
sans conscience
nerveux reptilien
essayant d'attraper le vent
maîtriser les miroirs
essayant d'embraser les mirages
et d'habiter les tiroirs.

dans un moment de lucidité
j'ai vu les larmes
sur des visages qui m'entourent
j'ai conféré alors avec
ma folie
pour ouvrir un chemin
sans retour

Ne jamais se dissocier du mal.
Ne jamais se complaire dans une vérité.

J'invoque la violence!

Quand j'entends le mot violence
Ha! Ha!
Je sors mon humanité
ma langue, ma morale, mon dieu caché.
Quand j'entends le mot violence
je me dis que j'aurais dû lustrer ma conscience.

Parfois un geste de trop
une parole sans importance
le mot qu'on laisse tomber
parfois la caresse égoïste
un dernier baiser
la douceur mal-placée
la gentillesse qui n'est qu'un masque
la générosité coupable
le sourire forcé

Qu'est-ce que la violence?

Et j'invoque, ici, une violence
Intempestive. Libérée.
Neutre et sans arrières-pensées.
Sans commanditaire. 
Toujours juste. Toujours injustifiée.
Celle de l'univers, des puissances indomptées.
De la vie qui se bat, qui tue, qui est tuée.
Pour toujours renaître. Se perpétuer.
Au-delà de ses propres formes.
au-delà de ses objets.

Je m'excuse. Par excès de politesse. Pour ménager ta vanité. Ou simplement par moquerie. Je m'excuse. Je vais assassiner tes illusions. Ne t'en fais pas. Tu t'en inventeras d'autres. Il faut bien que le mensonge se perpétue. Il faut que le spectacle continue. Je ne te plains pas. Je ne te maudis pas. Ton sang m'intéresse mais tes dilemmes m'indiffèrent. Tu vas mourir. Oui. Tu vas mourir. Et tes rêves seront dénombrés. Un rêve de dissolution. Trois rêves de puissance. Huit rêves d'enfermement. Deux rêves d'adoration. Cinq rêves de domination. Et peut-être, peut-être un rêve de liberté.
J'arrête. D'accord. J'arrête. J'aime trop. J'avale des flammes, je bois du feu. Et après, après, je me prends au jeu. Pardonne-moi! Qu'est-ce que tu disais déjà? Qu'est-ce que tu fais dans... la vie... oui, oui...dans la vie... Oh! ça a l'air passionnant. Comme tu en parles ça a l'air passionnant, ça donne envie. Ah! Moi? Tu veux savoir? Moi?

Monstre chasseur de monstres
j'habite Aujourd'hui-Le-Crépuscule
avec vue sur les ruines d'un cœur
qui fut sacré
mais rien n'est plus...

Monstre chasseur de monstres
drôle de métier
rares y sont les retraités
aucune sécurité

Les yeux ouverts
Les yeux fermés
au final on est juste qui on est.

Malgré toi! Malgré moi!
Monstre
Chasseur de monstres
Je l'ai déjà dit
la Vie dévore la Vie.

Mais regarde qui va là
regarde-moi ça
je savais que tu allais venir
toi l'habitué
content de te voir Thésée
je savais
tu n'as jamais raté
un carnage
tu n'as jamais manqué
une battue
Pour cet ultime banquet
tu es le bienvenu
Ici nous serons tranquille
il n'y a plus d'oracle
et l'électronique
a dompté la prophétie
nous serons tranquilles
libérés
tu pourras donner libre cours
à ta brutalité.

Ce silence griffu, lové dans le giron de la prêtresse nue, étendue contre le corps immobile de la prophétie.
Libérés.

Anciennement rue des Innocents.
Nous avions rêvé, je crois. Nous avions rêvé. Au final, je préfère. Maintenant, plus de faux-semblants. On va finir par l'aimer, cette humanité. A coup d'épée. Elle va finir par nous aimer. N'est-ce pas, monstre?
Allez! Bois Thésée! Bois! On va finir par se fondre un peu dans la masse. On va finir par s'intégrer. Regarde! Comme ils se ressemblent tous! Bois! On va finir par croire que tu n'as pas de manières! Toi! Roi fils de roi. On va finir par te repérer. Monstre tueur de monstres. Goûte, Thésée, cette eau de feu. Goûte ce produit de la technologie. Et bois encore! Bois! Parce que quand l'Arabe viendra, il faut être à la hauteur, il faut être à niveau. Soit certain que lui a commencé beaucoup plus tôt et il va venir dangereux, alcoolisé, toujours sûr de son épée courbée. Et va nous fatiguer avec son amour et ses poèmes d'amours et ses rimes embrouillées. Il est né dans le désert, lui, et la soif le connait. Alors bois, Thésée, ne fais pas honte à l'Europe, à ta Grèce natale. Bois, Thésée! Qu'es-ce qui se passe? Ton monde ancien et sale te manque? Réveille-toi! La musique est bonne, les femmes sont belles et tout est en train de changer. Les monstres courent les rues, rassure toi! Tu auras ton carnage! Vampire! Tu goûteras ce nouveau sang! Eh! Eh! Bois! Bois vite! Tu sens cette électricité? Tu sens la tension? Il arrive! Antar arrive! Cette odeur de silice. Se sable brûlé! Il n'est quand même pas venu à cheval? Tu peux croire ça? Il ne pouvait pas prendre le métro comme tout le monde?

Salut les Anciens!
Qui bois quoi?
allez! c'est ma tournée
c'est toi qui paie Thésée
tu me dois de l'argent
tu te souviens!
tu as perdu ton pari
j'ai sillonné la ville depuis ce midi
aucun dieu à l'horizon
aucun Zeus aucun Apollon
pour relever le défi
aucun n'est venu demander sa part
de ma bouteille
aucun n'est venu me disputer une femme
ou chipoter sur mon usage
des flammes.
Ce n'est pas grave! Thésée!
Il ne faut pas te fâcher!
qu'est-ce qu'ils t'ont donné les dieux? 
Ils n'ont fait que te trimbaler par-ci par-là
à t'embarquer dans des histoires abracadabrantes
le Minotaure, les Argonautes,
exilé de plus en plus loin
l'un sabote tes affaires
l'autre te pique ta femme
ah! j'oubliais, ça c'était une excuse, une ruse de ta part
N'empêche
Thésée ici. Thésée là-bas.
Thésée couché, assis, va chercher.
Comme s'il ne pouvait rien se passer sans toi! 
Jamais de vacances. Même pas un week-end!
Dis-toi que cette fois, c'est pour le plaisir!
On va s'amuser et tout ravager dans la joie.
allez! goûtez-moi ça! c'est génial!
c'est le genre d'invention qui me redonne de l'espoir
dans le genre Qu'Humain.
C'est une boisson de druides, il paraît!
J'ai découvert ça! Goûte!
Cela s'appelle le Oui-C'est-Qui.
Du tonnerre de Zeus! Que se salaud repose en paix
et ne revienne jamais! Amen! Santé!

Oui. C'est qui? Qui? J'essaie de me souvenir, mais ça ne revient pas. C'est dans ces moments là qu'on réalise la profondeur du temps, cet espace.
...
[A suivre]


lundi 18 octobre 2010

Daimôn 1

Soudain s'éveiller
à un autre présent
je suis là sans armes
sans armure
je m'éveille
du rêve d'une guerre
ancienne
vaincu ou vainqueur?
ces notions semblent
si lointaines.

Soudain ouvrir les yeux
ouvrir
un autre espace
je suis le même
face à une autre époque
le ciel est plus vide
que tel que je l'ai connu
mon cœur bat à la même cadence
mais l'ombre des dieux n'y habite plus

Ce corps est toujours mien
même si la posture diffère
cette pensée me ressemble
mais mes souvenirs ont acquis
d'autres couleurs.

Ah! Le temps, quel stupide mystère!

Me manque l'odeur des chevaux
ici je ne sens que la dure matière
enfin! C'est ce que nous sommes devenus
il faut m'y faire.

Rien n'a changé.
Dans les profondeurs, rien n'a changé.

Prométhée
condamné pour vol de briquet
à souffrir pour l'éternité
entre un aigle et un rocher.
Zeus-Pompier à une drôle
de manière de justifier 
son hégémonie.

Mais ce feu ne s'éteindra pas de sitôt!

Ne te brûle pas 
jolie demoiselle
ne noircis pas encore
ta belle robe
Reste proche mais pas trop
et ne te perds pas dans 
l'ombre des ruelles.

Héraclès
qui ne voulait jamais rentrer chez lui
de la folie jusqu'au feu
de monstre en monstre
se cherchait un chemin
et à chaque combat
c'était son image qu'il tuait
contre lui-même
il se battait
toujours vainqueur
et jamais victorieux

Brûlera Carthage
et brûlera Héraclès
pour rejoindre le sommeil des dieux

Restera le feu
le phénix entêté renaîtra encore
de mes cendres et des tiennes
pour agiter les hommes
et les corps des hommes
pour toujours les jeter hors de 
leurs nids hors de leurs rêves
Le feu peut parfois s'apaiser
mais ne connais pas de trêve.

La Babel Suspendue
ou
La Mecque des Requins
La Rome Glorieuse
ou
Le Paris du Crépuscule
une ville est une ville
le feu y crépite
et les monstres s'y dévorent
se recrachent
puis recommencent
elle a toujours ses temples
ses autels ses idoles
les hommes n'ont pas changé
seulement les mécaniques
les désirs sont les mêmes
n'a changé que la technique

Je commence à saisir le rythme
des enseignes sur ce boulevard
Je commence à comprendre
le sens des feux qui régulent
le flux des hommes
et des machines
Toute une semaine debout
sur ce même trottoir
je crois que je suis prêt
j'ai enfin compris
je suis prêt à traverser
sans me faire écraser
par le premier char.

J'apprends vite.
J'ai appris qu'ici
pour dire taverne, il faut dire bar.
J'ai appris aussi
que chasseur de monstres
n'est pas un métier très respecté.
Je sens l'odeur des monstres
mais ils ne sont pas faciles à distinguer.
Tout semble paisible, ici,
pourtant ça sent la guerre.
Tout est mélangé.
Indifférencié.
Je crois que je vais m'y plaire.
...

Primitif, dans le territoire. Nomade, tributaire du mouvement. Ah! Ce battement dans le sang. La joie du combat. L'excitation de l'inconnu, de l'incertitude! Ça fait rêver. Je crois que je suis né par curiosité, et là, dans cette ville folle, il y a tant à vivre et tant à conquérir. Un poisson dans la bergerie. D'abord décoder. Comprendre les enjeux. Cartographier les rapports de force. S'imprégner, mais ne jamais se dissoudre.. Percevoir les flux, les mouvements du courant. Mais ne pas se laisser emporter. C'est drôle, parfois. En apparence. C'est comique les motivations des gens. Leurs délires. Leurs frustrations. Mais c'est mortellement sérieux. Comme partout, de tout temps. Ces petits arrangements avec des petites vérités. Ces négligences. Ces approximations. Comme partout, de tout temps. La vie qui dévore la vie. Mais, parfois. Parfois quelques perles, quelques raretés. Une inaltérable beauté. Perçue, frôlée, touchée, au prix d'un effort incommensurable des hommes pour être Hommes. Pour un instant.
...

Il faut que je m'affole!
à petits pas!
je n'ai pas peur 
je crois que je n'ai pas peur. 
Je suis là où je suis.
Est-ce que j'ai une mission?
Je ne sais pas.
Peut-être que j'ai oublié.
Ça reviendra.
S'il le faut.
D'ici là... héhé..
J'ai le droit d'errer.
De vivre sans but.
De dévorer. 
D'aimer peut-être...
De rêvasser. Hé!


Je viens d'ailleurs. De Je-ne-sais-où. Et ça me convient parfaitement.
Impossible de faire autrement.
Je suis vivant. Je crois.
Et la vie a ses propres impératifs. Son propre agenda.


Quelqu'un me regarde. Quelqu'un me voit.
Rien n'a changé de ce côté-ci.
La flamme dans le regard est la même.
Je peux déchiffrer. Les corps.
D'animal à animal.
Sans tergiverser. Sans se mentir.
L'infinie distance. La proximité.
Se reconnaitre. Se renifler.
Tout recommence. Commence. Renaît.
Je te connais. Tu me connais. Oui, si on se le dit.
Ah!
Toujours cette envie de se perdre. De se noyer.
C'est beau.
A pleurer. A mourir de rire.
S'enflammer.
Revenir encore. Encore.
Revenir aux hantises
et à l'être inachevé.
Continuer.

Au-delà de ma carcasse.
Au-delà de ma peau.
Au-delà de l'irritation des sens.
Au-delà...


Il y a cette innommable présence. Ce joyau aux éclats sombres. Derrière les voiles, persiste le mystère qui brille sur tous les mystères. J'entends l'appel, clair et brûlant. Partout, au cœur de tout, il y a ce lac sombre sous un ciel clair. Une indestructible éternité. Ni source, ni destinée. Infiniment mobile dans son immobilité. Ni futur, ni passé. Elle est ce qui rêve et ce qui est rêvé. Ni origine. Ni finalité. Elle est là. De tout temps. Au-delà du temps. L'essence définitive du vide qui crée, consume, se consume. Et là, maintenant, dans cet espace, je perçois son indéchiffrable appel. Ma pensée, mon discours, ne peuvent pas la définir et ne peuvent pas la changer. Elle n'a rien d'humain. Et rien que la science pourrait apprivoiser. Elle est là. Suffisante. Indépendante. Une puissance absolue qui traverse tout, maintient tout. Ni divinité. Ni matière. Existence. Indifférente.
Et elle appelle...
Ou est-ce moi qui l'invoque?

Me revoilà possédé.

 
...
[A suivre]









vendredi 15 octobre 2010

En l'absence de rose

   J'ai cherché une couleur qui te conviendrait, mais tu n'étais plus là pour choisir. La porte est restée ouverte sur cette rue qui s'écoule, me laissant à mes souvenirs. Mais dans l'impossibilité de les nourrir, je m'oublie, j'oublie. Je croyais te chercher, mais dès que j'ai mis un pied dehors, j'ai perdu mon adresse et contre le flux des rues, je ne pouvais plus revenir. Je crois que la porte est restée ouverte mais je n'ai plus envie de la retrouver. Les lumières dans les boulevards me semblent plus prometteuses, plus attirantes. Il me semble te croiser souvent quand le zinc s'incurve légèrement dans la chaleur des bars. Mais peut-être que ce n'est pas toi. Il faut dire que je ne me souviens plus très bien de la coupe de tes cheveux, de l'exacte couleur de tes yeux.

   En l'absence de rose, toutes les couleurs se compliquent et chacune se rêve arc en ciel et puis pont vers l'horizon. Et moi, qui crois pouvoir tout attraper, je m'engouffre dans tous les chemins et poursuit tous les scintillements. C'est si beau, la nuit dans la lumière, loin de chez soi. Surtout quand on a définitivement oublié le chemin pour retourner chez soi et qu'on a oublié ce qu'est un lit, surtout un lit sans toi. Je ne me souviens plus je crois ni de toi, ni de la couleur de nos draps. Peu importe, parce que celle qui me sourit au bout du zinc, c'est sûrement toi. Même si je ne te reconnais pas. Détrompe toi, je ne te cherche pas et ne cherche pas le chemin pour revenir chez toi, chez nous ou chez moi. Un baiser suffira. Et la nuit est encore jeune, éternelle peut-être, cette fois. je regarde dehors. Et la rue est une folle rivière qui ne meurt pas. Du ciel pleuvent des clochards, des fées et des rois. Je les entends deviser au bord du fleuve et décrire un monde qui ne sera pas. Je titube un peu pour me tenir enfin droit et parmi eux, je me forge une sagesse, affûte mes rêves et brûle sur un autel quelques images saintes que j'ai dû ramasser ici et là.

   En l'absence de rose, je refuse de choisir une couleur pour les étoiles vibrantes, pour le soleil qui découche. En l'absence de rose, patient, je me tiens collé aux murailles. mes dents aiguisées grignotent doucement le béton et la ferraille. Patient, je me tiens, malgré l'altitude, malgré le froid, l'oreille solidaire du rail, sensible aux vibrations. attentif au chant de la terre, aux paroles de l'espace. Attentif à cette voix qui balbutie dans mes entrailles. Patient, je me tiens au milieu du carrefour, me disant: mais bien sûr, il viendra, oui mon prince viendra, mon client, mon mécène. Bien sûr, le diable viendra et contre cette âme il m'échangera des mots qui résonnent, un costume de clown ou une petite couronne. Mais bien sûr, il viendra. Patient, je me tiens sur la plage mazoutée, l'œil scrutant au-delà des vagues, certain de voir venir les conquérants. Ils sont déjà là, j'en suis certain, mais mes yeux ne peuvent pas déchiffrer, encore, la forme de leurs vaisseaux. Mes yeux ne peuvent pas distinguer les couleurs de leurs drapeaux.

   En l'absence de rose, je chantonne en longeant les cimetières et cache mes larmes en fendant la foule, sur la place du marché. En l'absence de rose, je chéris plus mes trahisons que ma fidélité. En l'absence de rose, j'erre dans la ville, je sillonne les campagnes sans but ni destinée. Je marche plus que ne cours, alourdi par toutes ces armes, tous ces costumes que j'aime trimbaler. En l'absence de rose, le noir fait distingué, très seyant mais le rouge fait vibrer tous les cœurs violents. Et moi, je me tiens à mes visions premières, je me tiens, forcé, tout contre mes pulsions primaires. A travers ces blessures, je sens poindre une lumière. Même en l'absence de rose, l'espace est plus bienveillant que ce temps qui me disperse. Le paysage se déploie en moi et au-delà de moi. Je crois que je vais m'y faire. Je crois que je vais y arriver. Je crois que je vais risquer une prière.