lundi 31 janvier 2011

Sorcier: samedi

Quand vous avez inventé la mort
je tournoyais avec une adolescente
dans une cave mal-éclairée
et mon téléphone ne captait pas.

Quand vous avez inventé la mort
la terre a tremblé dans un soupir
l'océan cessa de rire
les pierres ne faisaient que chuchoter
elles ne parlaient plus.


Samedi. Je m'éveillai Gare du Nord, à l'arrivée de l'Eurostar de Londres. Je laissai venir les anglaises jusqu'à me souvenir que je n'attendais personne. Je fermai les yeux. Pour fixer mon regard sur toi. Rien que toi.
Samedi. Lendemain de fête. Samedi la veille de toutes les victoires, toutes les messes, toutes les défaites.
Quelques heures plus tard, je m'éveillai à l'attente. Les urgences de l'hôpital Lariboisière. Je vérifie. Je vérifie. Mais je n'ai rien. Même pas mal. Je me souviens de tout. Et de rien. Je suis bien. Rien d'anormal. Et rien ne me gratte. Rien ne me dérange. Je fais contraste. La douleur en négatif. C'est n'importe quoi! Quand le médecin me demande ce que j'ai, je ne sais pas quoi inventer. Je lui raconte que quelque chose tremble en moi et me remplit de joie. Que tout semble doux et vivant, en moi et hors de moi. Je lui dis que je ne suis pas inquiet. Que je n'ai mal nulle part. Sauf au moment de ces violentes érections où mon pantalon me semble très serré. "Non, je ne me suis pas drogué. Vous pensez que je devrais?" Il me fait évacuer par les vigiles en hurlant que les amoureux le font chier. "Mais moi aussi, je répondis. Moi aussi."

Samedi. Une veille pour un lendemain.
Il est encore tôt
et ça va être long.
Surtout sans toi. Mais tu es là. Je suis là. Je flotte sûrement, mais je ne dérive pas.

Ouvre les yeux, je me dis. Mais ouvre les yeux! C'est dangereux une ville les yeux fermés. Café. Clope. Calva. Café. Brioche. Clope. Café. Calva.Café. Calva. Merde! Il est encore tôt. Café. Calva. Clope. Clope. Téléphone. Téléphone. Téléphone. Calcul. Téléphone. Rendez-vous. Téléphone. Complot. Toujours tôt. Ça va être long, je te dis. Ne ferme pas les yeux. Non. Claque. Ne ferme pas les yeux. Claque. OK! OK! Ça va! Ça va! Café.

Je n'ai pas fermé les yeux, je te jure! Mais je ne sais pas où je suis. J'ai peut-être cligné des yeux. Ça va! Claque. Clope. Ça va! Pas de panique. Ne pas courir dans tous les sens. Prends le temps! Respire. Clope. OK! Le Nord c'est par où? Je ne sais pas. L'Est alors? C'est facile ça, non? Mais je n'en sais rien! Je ne vois pas le soleil. De toute façon, il bouge tout le temps, le soleil. Moi je suis fixe. Ici. J'entends une voix connue me dire :"Super! Tu es pile à l'heure." Mais...Mais je suis au bon endroit, au bon moment. C'est pas beau ça. Je devrais me faire un peu plus confiance. Au lieu de chercher le Nord, ou l'Est, ou je ne sais quoi.

Samedi: un mémorial pour les fous
Il est encore tôt
Mais là, samedi-c'est-parti
J'attache ma ceinture
rachète des clopes
Je pense à toi
je bois une bière 
les yeux grands ouverts
Samedi c'est parti
avec tendresse je pense à hier
mais là c'est samedi
et samedi c'est les conneries
Samedi-Sorcellerie.

Je n'aurais peut-être pas le temps d'écrire. Je serais, parfois, bref, succinct. Je ne raconterais pas tout. Et j'éviterais de rentrer dans les détails. Bon! Je verrais. Ce sera long. Alors je tairais certains moments. Je ferais probablement des ellipses. Ou je m'arrêterais. Je ne raconterais peut-être rien. Je verrai. Mais c'est samedi.

Samedi-Commando
toujours en petite équipe
une brigade au moment du parachutage
Après on verra
entrainés armés infiltrés
méfiance maximale
samedi à paris
que des imposteurs des allumeuses des menteurs
camouflage
énumération des objectifs
compte des cibles potentielles
et surtout surtout
être totalement présent
et complètement inconscient
mobilité efficacité solidarité:
les avantages d'une petite équipe
garder le bon niveau de sang dans le corps:
Au minimum
compléter toujours l'alcoolémie
avec les bons produits
et d'abord d'abord
rire, en rire
Rester en vie. Rester en vie.

Personnellement, je n'y crois pas. Mais il parait que tout commence quelque part. Alors un bar, avec des miroirs. Ils sont nombreux. Ils sont identiques. Je prends les paris. Si je prends quelqu'un au hasard, vous pariez combien qu'il va prétendre qu'il est artiste, graphiste, cinéaste ou producteur? Je me dis, encore une fois, que je m'abandonnerais bien une heure ou deux aux lèvres de la barmaid, encore une fois. Mais bon! C'est déjà une vieille histoire. Et puis je ne me souviens plus de son prénom. Peut-être que si! En fait non! Le sourire est professionnel, mais le regard qu'elle me lance me dessoule instantanément. Il est temps de remonter le niveau d'un cran. Il est encore tôt. Et ce sera long. Whisky. Un double. Tu sais déjà. Sans ce regard de meurtrière et sans glaçons. Bon! Intermède whisky et moquerie. Oui-c'est-qui? Qu'est-ce que tu fais dans la vie? Et ta mère? Et ta sœur? Qui fais quoi? Qui veut baiser qui? Des ragots sans consistance. Le jeu habituel de la basse cour. Peu importe, c'est samedi. Je ris encore. Mais je m'ennuie. Je traine encore. Pour une ou deux jolies filles. N'empêche, je m'ennuie. Entre deux dealers. Entre deux jeux de mots. Je mets la langue. Et en accompagnant cette rousse aux toilettes, je crois que je ferme les yeux.

Samedi-Sorcellerie
tout est possible 
et rien aussi
Je peux disparaître
réapparaitre
je peux voler
me souvenir et oublier
oh! normal!
c'est samedi

Que m'est-il arrivé? Que s'est-il passé? Je ne m'en inquiète pas. Aucune importance. Que vive l'inconscience.
Des images. Des mirages. L'inapaisable envie de toi. Et l'arrêt. Revenir à soi. Calme quand la ville dérive. Quelques heures plus tard. Quelques heures trop tard. Enfin seul. Sur une place déserte.Dans l'ombre de samedi. Un lendemain qui approche déjà. Quelque part au-delà du jour. Au-delà de la nuit. Avec et sans toi. Rêve vécu. Mon corps un chant tissé dans le corps de la nuit. Et tout se déploie, s'étale. Tout existe. Persiste un moment et s'envole. Un ciel pour le ciel. Des ailes. Seul sans être seul. La vie autour de moi, à travers moi, en moi, un fleuve lumineux. Je n'ai rien à défendre. Tout est protégé. Tout est libre. Tout est vrai. Pour un instant peut-être. Et tout est suffisant. Le regard fixé sur toi. Sur le chemin de retour. Je sais. Tu sais. Je ferme les yeux doucement. Délicieusement, mon irrépressible désir pour toi. Un désir de vie. Toi, la vie et moi.
Je ferme les yeux.



....

mardi 25 janvier 2011

Je voudrais...

Je voudrais écrire
mais pour écrire il faut se poser
et pour se poser il faut mourir
mais pour mourir il faut aimer
et pour aimer il faut trahir
pour trahir il faut rêver
mais pour rêver il faut se taire
et pour se taire il faut penser
et pour penser il faut oublier
pour oublier il faut connaitre
pour connaitre il faut regarder
et pour regarder il faut paraitre
mais pour paraitre il faut cacher
et pour cacher il faut comprendre
pour comprendre il faut parler
pour parler il faut apprendre
et pour apprendre il faut rencontrer
pour rencontrer il faut sortir
mais pour sortir il faut s'armer
et pour s'armer il faut se battre
pour se battre il faut risquer
et pour risquer il faut se perdre
pour se perdre il faut lâcher
et pour lâcher il faut choisir
mais pour choisir il faut souffrir
et pour souffrir il faut sentir
pour sentir il faut s'ouvrir
mais pour s'ouvrir il faut croire
et pour croire il faut espérer
pour espérer il faut manquer
pour manquer il faut désirer
mais pour désirer il faut conquérir
et pour conquérir il faut frapper
pour frapper il faut viser
pour viser il faut voir
et pour voir il faut se détacher
pour se détacher il faut s'extraire
et pour s'extraire il faut se différencier
pour se différencier il faut se connaître
mais pour se connaître il faut tomber
et pour tomber il faut grimper
pour grimper il faut se nourrir
pour se nourrir il faut tuer
et pour tuer il faut accepter
pour accepter il faut toucher
mais pour toucher il faut s'approcher
et pour s'approcher il faut s'exposer
et pour s'exposer il faut quitter
mais pour quitter il faut se lancer
et pour se lancer il faut se remplir
et pour se remplir il faut s'abandonner.


...

Sorcier: lundi

Quand vous avez inventé la mort
je dormais dans les bras tremblants
d'une autre ou d'une autre ou d'une
autre jeune destinée.
Quand vous avez inventé la mort
il se fit dans le chant un long
long long silence et quelques notes
ont appris à hurler.

Ha! Rhaa! Boum! Tout tremble! Tout. Évidemment. Fatalement. Inévitablement. Ailleurs, ça parle, ça s'étale, se répand et dégouline, visqueux et un peu dégoûtant. Mais ici ça tremble. Ici, ça se retient. Et tremble. Élégamment. Sans peur. Sans envie. Désespérément. 

Quelqu'un, quelque chose, un truc me rappelle qu'on est lundi. Mais lundi n'existe pas. Parce que je n'existe pas lundi. Ouf! Libéré! Je flotte ivre-mort de ton absence. Parlant à tort. Marchant de travers. Silencieux sans vergogne. Et peu m'importe. Lundi et moi, nous n'existons pas. Parce que mon cœur un samedi. Ma tête dimanche. 

Ils ont inventé la mort. Et je me suis réveillé à l'heure de la marée haute. Ma sirène est partie vaquer à ses rêves marins, à ses obligations aqueuses. Un homme, une femme, un mammifère, une chose s'est avancée dans mon soleil, sur mon sable, ma plage pour me donner des leçons sur la vie, sur agir, sur être digne, sur la couleur du ciel. Il. Elle. C'était peut-être convainquant. Mais j'ai oublié, je n'ai pas fait attention. Ça m'ennuyait probablement. Vu que je rêvais d'une femme. Je rêvais. Une femme. Et sa beauté n'appelait aucune réponse. Les éléments, même captifs, en sa présence acquéraient une éternelle vérité. Voir la pluie tomber. Voir le feu naître. Voir l'air vibrer. Ça suffisait. Ça me suffisait. J'ai probablement raté des choses importantes. Mais c'est lundi. Lundi, je n'existe pas. Ha!

J'ai erré. Et la ville calme a voyagé, métamorphosée par les rêves que je te dédiais. J'ai retrouvé par-ci par-là des camarades que j'ai oublié. J'ai charmé des filles sans intérêt. Sans conviction, j'ai refait le monde avec des gens qui m'ennuyaient. Trop tôt, Whisky-Ville a ouvert pour moi ses portes. Et ses lumières m'ont hébété. Une nordique pimpante et plastique a dit oui à mes avances. Je crois que j'ai perdu connaissance. Ça doit être ça. Sûrement. Puisque je suis revenu à moi, quelques heures plus tard, debout, seul, dans ta rue. Toute la ville m'est revenue et m'a enveloppé de son hiver gris. Et tout en moi s'élançait vers tes fenêtres. Avide de toi. Et je me retenais. Je me retenais. Et encore une fois, j'ai perdu consistance. Encore une fois. Sans consistance. Sans centre. Sans espérance. Peut-être des ailes. Peut-être du vent. Ce souffle froid quand on ouvre la porte. Me voici évadé. Un souvenir de toi. Quelques fragments de mon passé. Et une respiration, datant de quelques années, prise sans calcul sur une plage exotique. M'arrachent à tout ce que d'autres ont cru que j'étais. Détruisant en moi toute certitude et tout relent nauséabond d'une quelconque vérité. On est lundi. Sans exister. Je crois que j'ai tout oublié. Maintenant je peux être un spectre pour vous hanter. Je peux être tout ce que vous ne voudrez pas. Et sans remords je m'en moque. C'est lundi. Même pas besoin d'exister.

...

mardi 18 janvier 2011

Sans bords

D'abord, suspendons toute attente. Nous ne serons pas libérés. Laisse tomber ta robe, tes masques et tes vérités. Nous ne serons jamais sauvés. D'abord, un regard aveugle. Un regard qui est plus qu'un regard et qui, pour un moment, abolit le monde et la vision du monde. Te voir. Te voir apparaître, pour que tout s'éclipse et renaisse paré d'une nouvelle acuité. Comme par accident, comme par hasard, se frôler. Se toucher. Comme par accident. Et rien. Rien. Rien ne suffit. Cette soif inextinguible. Cette faim insatiable. Des promesses animales. Corps libres incarnés dans l'esprit vif des flammes. Esprits possédés par l'ivresse de la chair. Ce tremblement. Une folie cannibale. Nous voilà carnivores. Nous voilà fauves, acharnés sur nos peaux.Au bûcher des baisers nous cherchons la parole. Violence et douceur et violence et douceur. S'échappent de nous la promesse, la justesse des mots et l'inconscience. Ici, ma peau finit et commence ma conquête, comme une terre, un trésor, un ailleurs que je désire, que je convoite.

Montre moi
montre toi
montre-moi la bête en toi
et mords-moi là et là
là où je te dirais
là où je voudrais
là où je n'ai jamais rêvé
être mordu par toi

Et tremble pour moi
contre moi
avec moi
tremble dans la joie
dans la perte
et dans la fureur
que tout vacille
et disparaisse
me laissant
tout à ma chute
en toi
te laissant
toute à ton envol
avec moi
en douceur
et violemment
violemment

violemment rêve
rêve de qui tu veux comme tu veux si tu veux
fuis aussi loin que tu peux
tu n'échapperas pas à cette étreinte
parce que tu ne veux pas t'échapper
ton corps est ici et dans un moment j'attraperai ton esprit
et tu resteras là entière dans mes bras
avant que la transe ne t'emmène
et ne te jette sur les rivages immaculés de l'être.

Ici. Ici, le monde commence et s'achève. Ne cherche pas ton centre en toi. Tu ne le trouveras pas. Ici, nous sommes sans bords. Ici, nous sommes cernés. Ici, tout commence et tout est achevé.

viens
viens maintenant
viens ma belle mon aimée
ma fin ma destinée
Quelque chose ici est ébranlé
Quelque chose a cessé de résister
des arbres des ailes
de l'eau des chances
du feu des pieds
un cœur  du rêve
des caresses un rocher
nous voilà encore perdus
pour nous retrouver

il n'y a pas d'issue
je te l'avais dit
il n'y aura pas de fuite
ni de refuge
pas de sauvetage in-extremis
pas de réveil instantané
tu rêves je te rêve
et nous dérivons
nous dérivons

Tremblants dans ce corps à corps
Tremblants dans l'ivresse de nos sens accordés
ici ici ici
nait un monde
ou se perpétue
à travers nous
et nous sommes cernés
et sans bords
imparfaitement dissous
mais constants
tu m'as tu m'as tu m'as
manqué
et nous revoilà entiers
Fondus Enchainés

Au pied du mur
Au pied du lit
sont abandonnés pêle-mêle
un drapeau une roue de secours
un préservatif usagé un masque un pistolet à eau
des ailes de papillon une armure 200 grammes de plomb
un soldat en acier un jeu de cartes avec un as en moins
un nez de clown des chaussettes dépareillées un cheval
caparaçonné un alligator édenté un cuirassé l'avant dernière vérité
une part de ma violence un pan de ta science

et nous voilà réunis
cernés et sans bords

Ton corps un pays
qui nourrit ma révolte
une terre où je m'enracine
pour pouvoir m'élever
un ciel où mes ailes
ont accepté de se déployer.

Emporte-moi! Déchire-moi! Déploie-moi!
Que je frôle tes horizons!
Parle, je ne te croirais pas
Hurle, je douterais de toi
Griffe ma peau jusqu'au sang
Laisse-moi tirer sur tes cheveux
t'étrangler te secouer
Sombre dans ton abandon
et emmène moi jusqu'au soleil brisé
de mon extinction.

Et tais-toi. Je t'en prie, tais-toi!


..

mardi 11 janvier 2011

Un beau pays.

Un beau pays, n'est-ce pas, Roger? Dans ton hôtel construit sur des cadavres, tu étais bien, non? Tous les jours on changeait l'eau de ta piscine, alors que quelques kilomètres plus loin, des familles ne pouvaient arroser leurs champs et leurs vergers. C'est bien de pouvoir se payer pour une poignée de dollars ou d'euros de jolies adolescentes et de fougueux adolescents. Mais tu ne pouvais percevoir les larmes qu'ils retenaient. Oh! Un beau pays, Roger! Toi, qui chez toi, est esclave, ici, tu es traité comme un roi. Pauvre de toi, Roger! Tu ne veux peut-être pas savoir. Comme je te comprends. Nous avons tous besoin de vacances. Même la colère, même la conscience. Mais ce ne sera pas maintenant. Peut-être un jour, mais pas maintenant.


Ce peuple a accueilli tout le monde, accepté tout le monde. Et contre tous a lutté calmement. Au début, des dieux anciens ont foulé cette terre, puis des dieux nouveaux, et des monstres comme tu n'en a pas connu. Vinrent des bêtes, des hommes comme des bêtes, puis des hommes-bêtes, et des hommes ensuite qui réinventèrent le monde en le découvrant. Tous sont passés, tous sont partis. Et la terre est restée et a gardé leur mémoire. Vinrent des hommes de partout. Naquit Carthage du rêve des exilés et elle brûla pour rester dans les espoirs des opprimés. Puis se nourrirent les romains du sol généreux avant que ne viennent les vandales pour tout égaliser. Cinquante tribus arabes sont venues fonder des mythes, des avenirs et une civilisation. Et tout tomba sous le joug des héritiers ottomans. Débarquèrent alors les colons et nous apprîmes le français, l'italien et l'allemand. Tous furent accueilli avec l'hospitalité légendaire de cette terre. Tous sont passé en laissant du sang ou du rêve ou un arbre ou une chanson. Cette terre toujours vendue, toujours marchandée, volée, arrachée. Et toujours vivante, toujours intacte, toujours retrouvée. Cette terre dont le chant ancien vibre immaculé dans la musique de ses fêtes et dans le rire de ses enfants. Cette terre qui parle dans les corps de ses hommes une langue douce et solide.


Cette terre aujourd'hui veut hurler. Elle veut cracher sa colère au visage de ceux qui veulent la bafouer, ceux qui prennent sans rien donner. Ceux qui vendent des arbres qui sont à elle sans rien lui demander. Cette terre a beaucoup supporté et a nourri sans rechigner toute sorte d'hommes à son sein. Mais cette nouvelle espèce de charognards, cette engeance de parasites, elle n'en veut pas. Elle a beaucoup consenti au joug pensant qu'un jour les chaines s'allègeront. Mais aujourd'hui elle veut nourrir ses seuls enfants. Que son eau coule douce pour ses enfants. Que son sol soit fertile pour ses enfants. Que ses vents soufflent pour le bonheur de ses enfants. Que sa beauté apaise les douleurs de ses enfants. Que sa richesse soit pour les fêtes de ses enfants. Que l'ombre de ses arbres soit pour le repos de ses enfants. Et elle pleure quand ses enfants meurent sous les balles d'autres de ses enfants, alors que l'oppresseur se vautre dans la soie qu'elle a produit, entouré de tout ce qu'il a volé.


Tous sont passés. Tyrans ou éclairés. Tous se sont pavanés ou marché en toute humilité. Mais tous sont passés. Et la terre est là. Elle reste pour une éternité. Tout revient en elle et elle garde une mémoire qui ne peut être niée. Carthage aussi a brûlé et les œuvres de Rome se sont éteintes. Les blessures qu'a infligé le colon vont un jour cicatriser. Qui sont-ils ceux-là qui croient régner pour l'éternité? Qui sont-ils ceux-là qui pensent que la terre va leur accorder son infinie miséricorde et l'impunité? Ils vont tomber. La terre l'avait dit. Et maintenant elle va le hurler. Avec le souffle de ses enfants elle est solidaire. Et elle portera leur rêve contre ces fous sanguinaires, contre ces inconscients. En larmes, en colère, elle promet qu'ils vont tomber.


...

Ce soir

Laisse-moi m'en aller ce soir
je vais aller boire
et écrire sur le bord d'un zinc
un énième chant à ton absence
je finirais probablement
dans le lit d'une autre
et sur son corps je dessinerais
des poèmes pour toi.

Laisse-moi me perdre ce soir
je vais aller marcher
et errer dans mes propres traces
en quête d'un chemin
sans ton ombre
je finirais probablement ivre
de l'odeur d'une autre
et je chanterai doucement
mon désir pour toi.

Laisse-moi rentrer ce soir
je m'en vais combattre
et tuer les oppresseurs de mon peuple
tout en criant ton nom
je finirai certainement blessé
derrière une barricade
et si je meurs mon esprit reviendra
te hanter et veiller sur ton sommeil.

Laisse-moi m'écrouler ce soir
sur le pas de ta porte
saigner toutes les larmes
que j'ai promis
et tomber dans l'oubli
de tous ces corps qui me furent offerts
pour que je rêve seulement de toi.

Laisse-moi me détruire ce soir
je vais aller me droguer
et éteindre dans les lieux mal-famés
ta pureté et la mienne
dans l'orgie maladive
des corps exilés
j'éjaculerai sur le visage d'une fille
qui verrait un autre que moi
et je ne verrai que toi.

Laisse-moi me noyer ce soir
dans la foule nerveuse de cette ville
qui fut un jour mienne
mais la foule ne sera jamais un peuple
et un peuple est ce qui toujours nous manquera
à moi fou couronné et à toi reine de mon cœur.

Laisse-moi m'envoler ce soir
dans les labyrinthes de ton désir
rêver l'adolescente que tu fut
frôler la femme que tu es
envelopper ta peau de ma nuit
et caresser ton aube de mes ailes
arracher violemment ton âme
te tenir te tenir captive
contre le jour
contre la lumière.

Laisse-moi mourir ce soir
mourir en toi
dans ta bouche entre tes seins
et m'abandonner calmement
à ma perte
et à ta gloire
caresse doucement mes cheveux
et laisse-moi disparaître ce soir
me dissoudre pour toujours
dans l'obsession que je te porte
laisse-moi sombrer dans tes abysses
et m'éteindre sans résistance
dans ta nuit pleine de mystères
Laisse-moi t'aimer ce soir.
Laisse-moi
t'aimer ce soir.



.

lundi 10 janvier 2011

Perdus pour toute éternité

Un autre jour, une autre vie, un autre monde. La fureur retenue de ce qui ne sera pas. Ces gestes suspendus, ces mots ravalés si près des lèvres. Et même si tout se répète et recommence, phénix renaissant de mes cendres, pour venir brûler ce cœur qui meurt toujours et continuellement repousse, oublieux de toutes mes blessures et de toutes mes peines, niant les larmes que j'ai versées et que cet océan sauvage n'a cessé d'engloutir, de noyer, de perdre dans le labyrinthe de son éternité.
Toi, comme rêve. Toi, mon oubli, mon horizon. Quelques instants arrachés aux lignes dures, aux destins clos. Quelques instants, pour que rien ne soit pareil, ni avant, ni après. Pour que tout brille, feu et brûlure et chaleur et refuge dans le regard menaçant des tempêtes que nous sommes.

Ne crains rien
ma rêvée
Ici tout remue
en toute solidité
Pleurer peut-être, et alors?
Oui, pleurer.
Et voir à travers les larmes
ce qui est
et ce qui a toujours été

Ne crains rien
bienveillante hallucinée
tes ailes déployées
m'ont rappelé
la rumeur du vent
mon nom caché
et deux ou trois secrets
Pleurer peut-être, et alors?
Oui et chanter
et entendre dans nos voix
une indestructible beauté.

Ne crains rien 
mon adorée

Un autre temps, une autre rue, une autre ville. Je serais peut-être à l'heure. Et j'attendrai sous la pluie ivre de décembre, ta silhouette et la lumière dansant dans ton regard. Mon cœur sursautera à ta vue et ton sourire arrachera de mon attente le temps, la rue et la ville pour me plonger dans une joie sans souvenir...Mais j'oublie. Heure après heure, nuit après nuit, j'oublie. Et dans mon ivresse se mélangent les bruits et les couleurs, les plaisirs et les douleurs, avant que tout ne s'éteigne, silence et obscurité.

Mais qu'avons nous à craindre du silence? Toi et moi sommes musique.
Qu'avons nous à craindre de l'obscurité? Nous sommes lumière.
...
Je t'ai vue
ne mens pas, je t'ai vue
je ne mens pas je t'ai vue
peut-être un instant
un instant comme un éclair
je t'ai vue
sans masques 
sans armes
sans apparat
et j'étais sans défense
brûlant sur le bûcher
Hérétique
je me savais condamné
et pour rien au monde
je ne voulais être sauvé.

Alors, alors...
alors laisse-moi, lâche-moi! 
J'ai droit à un dernier repas, 
à un dernier baiser, 
à un dernier mensonge, 
à une dernière violence.
Aux condamnés on pardonne
on pardonne la folie
on pardonne l'arrogance
...

Je me réveillerai. Je me réveillerai tombant du nid ravagé de ton absence. Je me réveillerai chute et chant pour la ruine. Je me réveillerai ami du vertige, embrassant l'abîme. Je me réveillerai étincelle dans la trahison de l'air. Contre moi crépitera l'empreinte de ta peau. La chaleur de tes lèvres hantera mon souffle. Mon cœur se brisera, déchirera ma chair, retiendra mon esprit dans sa douleur. Me dispersera, me cassera mille fois et mille-et-une fois me construira et se déploiera divisé et en moi et au-delà de moi. Mon cœur se déploiera ailes flambantes, dessinées avec tes couleurs, contre le ciel obsédant de nos espoirs et de nos annihilations. Je me réveillerai. Je volerai. Je saurais une part de ton secret. Et un jour je reviendrai me poser à ta fenêtre, contempler ta nudité, voler un de tes gestes cachés. Je reviendrai. Je volerai. Je rêverai. Si haut. Si haut. Les dieux me foudroieront peut-être. Mais s'ils m'acceptent dans leur olympe, je créerai un autre jour, une autre vie, un autre monde. Rien que pour toi et moi et le retour sans fin de ces instants qui nous unissent. Je créerai ce même moment encore et encore et autrement. Nous y serons seuls et intacts. Nous y serons libres et vrais. Nous serons flammes et douceur et désir et violence et délire. Nous serons chant et danse et présence et folie et ivresse. Nous serons toi et moi tels que nous sommes, voyants aveugles enlacés éthérés amants unis disparus divinisés perdus perdus pour toute éternité.