lundi 29 novembre 2010

Daimôn 4 - Spree

Poste de police - Musashi

- Votre nom?
- Miyamoto Musashi.
- C'est un nom ça? Comment vous l'écrivez?
- (Il épèle)
- Votre prénom?
- Je viens de vous le dire. Mais vous pouvez m'appeler Johnny.
- Adresse?
- Aucune. Pas ici.
- C'est à dire? Vous êtes SDF?
- Si vous voulez. Vous pourriez me rendre mon katana, maintenant?
- Quoi? Vous vous rendez compte de la situation où vous êtes?
- Vaguement.
- Port d'arme blanche...
- Deux armes blanches.
- Oui, deux! En pleine ville. Qu'est-ce que vous vouliez faire? Il y avait quelqu'un d'autre avec vous...
- Pas avec moi.
- On a des témoins; Vous vous battiez tous les deux en pleine rue.
- Nous n'étions pas ensemble, il m'a attaqué.
- Vous le connaissez?
- Non, mais je sais qui c'est.
- Qui est-ce?
- Un barbare du nom d'Attila, roi des Huns!

Devant l'Odéon - Bertolt Brecht et Heiner Müller.

- C'est drôle BB, qu'on se retrouve ici!
- J'ai vu un panneau "Théâtre de l'Europe", je me suis dit autant commencer par là!
- Alors tes impressions BB?
- Arrête de m'appeler BB, d'abord! Pour toi, c'est monsieur Brecht.
- Tu es bien grognon, je trouve. La situation ne cadre pas avec ton prétendu matérialisme dialectique?
- Ça ne m'étonnerais pas que tu y sois pour quelque chose, toi! Les morts qui envahissent les vivants. C'est un peu ton truc, non?
- Cette fois, je n'y suis pour rien. Mais je trouve ça assez amusant. J'aimerais bien voir ce qui va se passer. Puis, il y a deux, trois personnes que j'aurais bien aimé rencontrer. Je me demande si elles sont là aussi.
- Moi, personnellement, il y a beaucoup de personnes que je n'aimerais pas revoir. Je me dis que rester ici n'est pas une très bonne idée! Une bonne partie de ces cons va certainement converger ici. Comme toi, d'ailleurs. Mais j'ai des comptes à régler avec toi.
- Ha Ha! Je me doute.

Le Panthéon - Robespierre et Napoléon

- Ils t'ont mis là-dedans, toi?
- Oui, si on veut! Pas toi?
- ...Tu t'attendais à ce que ça devienne comme ça, toi?
- Je crois que je n'avais pas pensé aussi loin, et toi?
- Ce n'était qu'un rêve sans importance.
- Tu crois qu'on est là pour reprendre le pouvoir et mettre les choses en ordre?
- Moi, franchement, ça ne me dit rien. Je n'y comprends pas grand chose de toute façon. Nous sommes peut-être là pour expier.
- Pour expier quoi?
- Ou dans ton cas, pour être enfin jugé.
- Pourquoi? On guillotine encore? Pardon! Ce n'est pas drôle.
- Si, si! Salopard! C'est drôle!

Bercy - Lou Salomé et Friedrich Nietzsche.

- J'ai gagné!
- Arrête de crier comme ça.
- J'ai gagné. J'ai tout prévu. C'est moi qui avais raison. Je l'avais dit. C'est comme j'avais dit. Voilà! C'est fait! Je reviens savourer ma victoire.
- Arrête de t'agiter. Tu vas faire une crise.
- Non! Plus jamais! Je suis guéri. Je pète la forme. Ils sont où tes petits copains? Ils sont où? Ils l'ont dans le cul! J'ai gagné!
- Tu n'es qu'un gamin. Ces grands hommes, tous des gamins et tu es peut-être le pire. Tu n'es pas le seul à avoir prévu tout ça.
- Je m'en fous. J'ai gagné, tout le monde me connait. On me reconnait dans la rue. Mes livres se vendent partout, comme des petits pains. Ils sont où tous ces traîtres? Ils sont où les nains? Et ton petit ami, là, cet attardé lubrique?
- Tu me fatigue avec ta jalousie mesquine. tu as beau avoir des idées géniales, dès qu'il s'agit de choses concrètes, de sexe, de ma liberté et de mes désirs, tu deviens d'une stupidité affligeante. Tu es comme tous les autres hommes. Et tout ça revient à qui pisse le plus loin, qui a la plus grosse bite. Que des surhommes et des sous-femmes!
- Je m'en fous! Espèce de garce. Tu es une traîtresse aussi; Et j'ai gagné! Arrête de me suivre, tu vas ternir mon image!
- Mais quel goujat!
- Il doit y avoir une statue. Je suis sûr qu'ils m'ont fait une statue.

...[A suivre]


lundi 22 novembre 2010

Monstre

Comme toi, au début. Exactement comme toi, je marchais sous un ciel rassurant et la terre sous mes pas était tiède et bienveillante. J'ai rêvé comme tu as rêvé et porté par les rêves, j'ai marché un monde, j'ai marché des chemins qui se sont révélés. J'ai connu des inquiétudes, évidemment. J'ai eu peur, quelques fois. Et parfois j'ai pleuré, Mais comme toi, enfant des hommes, j'ai continué à croire, confiant en ce qu'on avait enseigné. Deux et deux font quatre. Le trajet le plus court entre deux point est la ligne droite; J'y ai cru à ce rêve de clarté. Alors quand dans l'obscurité froide de ma solitude j'ai rencontré cette chienne de l'enfer, j'ai été surpris. j'ai été surpris par son regard et j'ai tellement aimé sa morsure. Évidemment, j'ai hurlé! Oui, j'ai hurlé.
La nuit était si belle. Les astres ont tournoyé et les comètes sifflantes m'ont appelé. Oui, moi! Elles m'ont appelé! De l'ombre que je craignais tant, mes visages se sont avancés, et mille démons multicolores. Avec mes nouveaux alliés, l'ivresse de mes aimées, nous avons dansé. Et comment! Oui, nous avons dansé! Oh! comme nous avons dansé! Nous avons vu ce que nous avons vu, fait ce que nous avons fait.
La nuit terrible était mienne, l'enfer, la folie et les bas-fonds, les cauchemars des fillettes, la guerre perpétuelle et la trahison. Du ventre froid de la machine, je naissais, créature sans nom, nimbée de secret. Enfin sans dieu, enfin sans âme, enfin sans pitié. Créature inconnue, enveloppée de nuit, les pieds dans le béton, les mains dans la mécanique, chien entouré de chiens, métal soudé au métal. Créature sans parenté, brûlant, je brulais tout ce que je touchais. Conscient, inconscient, je ne voyais rien. Je ne voyais rien approcher. Mais je me suis attardé, à contempler ses yeux qui appelaient désespérément ma douceur, qui éveillaient ma mélancolie. J'aurais voulu échapper, j'aurais voulu me soustraire à l'aube qui rampais. Mais un empire me retenait et la nostalgie de la lumière. Je me suis vu, alors, image d'image d'image. Un tout mouvant de voiles superposés. Je me suis vu, à briser les miroirs, à terrifier les enfants. Je me suis vu, à me fuir moi-même. Et j'ai erré. J'ai longtemps erré. Et j'ai appris à préserver l'errance, à tromper toutes les attentes. Noyé, je respirais encore. Blessé, je dansais encore. C'était à n'y rien comprendre. Mort, je me battais encore. Brisé, je volais encore. Il n'y avait plus rien à comprendre. Debout, je dormais encore; Rassasié, je me mangeais encore. Ivre, je buvais encore. Vide, je saignais encore. Et encore et encore et encore. Ancien, j'étais jeune encore. Froid, je brûlais encore et encore et encore. Calme, mes démons s'agitaient encore. Raisonnable, ma folie palpitait encore. Et jour après jour, heure après heure, je renaissais, clignotais un moment, m'éteignais puis renaissais. Jour après jour, heure après heure. Jusqu'à ce que j'entende clairement cette voix, d'abord lointaine, puis de plus en plus proche. Cette voix enfin chaude, enfin douce, et elle me disait: "Oublie. Maintenant, oublie! Jamais tu ne retourneras là où tu étais. Jamais plus tu ne rentreras chez toi, parce qu'il n'y aura plus aucun endroit que tu pourras appeler chez toi. Alors, oublie. Et ris, ris à t'en couper le souffle, ris à t'en déchirer les entrailles et ris encore et puis ris un peu plus. Ouvre tes yeux si neufs. Ouvre ces yeux terribles. Et regarde. Tu es là pour voir et être vu. Monstre parmi les monstres. Regarde tes griffes acérées, tes yeux fendus, ta peau tachetée. Pourras-tu encore te dissoudre? Voudras-tu te cacher? Monstre montreur de monstre, voilà qui tu es!" Pourquoi pas, me suis-je dit. Monstre, pourquoi pas.