samedi 27 octobre 2012

Le Silence et l'Obscurité




Je me suis vêtu des peaux tannées de mes ancêtres. J’ai écrit sur mon bras les noms que je voulais effacer. J’ai psalmodié le seul mantra dont je me souvenais.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Ne me demande pas pourquoi
Alors que cette voix impérieuse chuchote à mon oreille
Ne me demande pas ce que je cherche
Alors qu’un tambour appelle dans mon sang

J’ai mis mon plus beau chapeau, mon plus doux parfum. J’ai récité le plus ancien poème que j’ai appris. J’ai levé le poing.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Ne me demande pas ce que j’y ai vu
Alors que la mort m’a vidé de tous les mots
Ne me demande pas ce que j’en ai ramené
Alors que mes mains sont ouvertes emplies de ciel

J’ai poignardé mon matelas, égorgé mon oreiller. J’ai tressé ma barbe. Fait semblant de prier.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Ne me demande pas de me souvenir de toi
Alors que l’oubli paisible m’a enfin trouvé
Ne me demande pas d’être là à l’heure de ton réveil
Alors que mon temps s’est évanoui loin des horloges brisées

J’ai serré ma ceinture, attaché mon harnais. J’ai touché mes fétiches. J’ai crié « Geronimo ». J’ai craché.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Ne me demande pas
Ne me demande pas

J’ai plongé dans le silence et l’obscurité
Tout a disparu
Le monde s’est éteint
Et je n’étais plus

L’œil qui s’est ouvert dans la nuit noire ne m’a laissé aucun mensonge, ne m’a laissé aucune échappatoire. Il m’a percé, dispersé. Il a déchiré mes masques l’un après l’autre.
J’aurais hurlé si ma gorge me répondait. J’aurais pleuré s’il me restait des yeux pour pleurer. Mais je n’étais plus et tout avait disparu.

Il n’y a pas de mots pour formuler la question qui me fut posée.
Il n’y a aucune parole pour répondre au geste qui m’a transpercé.
Et j’ai entendu - vu - senti l’Injonction.

Je n’étais plus qu’un avec le silence, un avec l’obscurité.
Et dans le silence il y avait une musique.
Dans l’obscurité, il y avait une lumière.
Et j’étais uni à tout cela.
Et je n’étais plus.
Je me suis souvenu des érections passées
J'ai préparé les érections futures
J'ai soupesé mes testicules
Et j'ai plongé dans le vagin
Amoureusement offert
Pour faire hurler de plaisir
La jeunesse passée
Et la jeunesse future
Et entendre chanter
Le masculin et la féminité.
Perdant existence
Je n'étais plus  qu'un rêve
Parmi d’autres
Que j’ai pu construire
Que j’ai dû rêver
Et qui n’était plus
Parce que je n’étais plus que…
Dans le silence et l’obscurité

J’ai affûté mes armes, empli mon encrier. J’ai lâché mes cheveux. Salué le soleil qui se levait.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Ne me demande pas le nom des choses
Alors que je ne vois dans le monde aucun objet
Ne me demande pas de compter les révolutions
Les chiffres n’ont plus pour moi aucun attrait

Il y a sur ma peau des signes pour chaque voix qui appelle
Et il y a dans mon coeur un rythme pour toutes les vibrations du moment
Il y a dans mes yeux un éclair pour les pièges du temps
Et il y a dans mes bras un horizon pour chaque battement d’ailes.

J’ai ouvert la cage et libéré les oiseaux. J’ai parlé aux vagues depuis le bout de la jetée. J'ai brûlé mon bateau. J'ai changé.

Et j’ai plongé dans le silence et l’obscurité

Je ne t’entends plus
Je n’entends plus le brouhaha de la foule
Je n’entends plus le bruit de la rue
Les lumières de la ville ne m’hypnotisent plus
Et les images dans mes yeux ne sont plus que des images.
Toute cette machinerie sans vie ne m’inquiète plus.

J’ai vu la liberté infinie
J’ai vu un monde qui ne connaît pas de nuit
J’ai vu nos rêves enchevêtrés
Dans le silence et l’obscurité
Et je regarde le chant de la terre qui s’élève
Un chant de joie et d’immortalité
Eclairant de toute sa beauté
Le silence et l’obscurité
J’ai parlé avec l’éléphant. J’ai donné congé à mon armée. J’ai enterré mon cadavre, brûlé mes papiers.
Et j’ai plongé
Dans le silence
Dans l’obscurité.



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