vendredi 25 janvier 2013

Laisse rêver ceux qui sont endormis !

Il y a, de ce côté-ci du monde,
des choses que la pensée
ne peut pas cerner.
Il y a, de ce côté-ci du monde,
des êtres qu’on ne peut rencontrer
impunément.
Il y a, de ce côté-ci du monde,
des créatures
qu’il vaut mieux ne pas réveiller.


Si les batailles du temps
t’appellent
à travers les champs ensanglantés
et tes pas s’enfoncent
dans la boue, les larmes
et les chairs déchirées
tient fermement tes armes
et garde un œil
tourné vers les étoiles

Et surtout
surtout ne réveille pas les monstres
laisse dormir le Poseur-de-question
et Celui-qui-doute et l’Affamé
laisse dormir Celui-qui-ne-rêve-pas
et Tête-folle et le Brûlé
Ne réveille pas les monstres !

Quand la déesse des écumes
darde vers toi
ses regards brûlants
et que ses bras humides
embrassent ton destin
laisse fondre tes carapaces
et abandonne-toi
à l’éternité
des corps présents

Et surtout
ne réveille pas les monstres
laisse dormir la Bête-du-passé
et le Mangeur-de-vérité
laisse à son sommeil Celui-qui-possède
et l’Ordinateur et le Banquier
Ne réveille pas les monstres !

Si la tempête vive s’abat sur ton âme
et que les éléments se déchaînent
en toi et hors de toi
si la terre sous tes pas
fait gronder son souffle
et le ciel libère
ses cohortes ravageuses
tiens fermement ton terrain
et ne ferme pas les yeux
aux menaces du destin
tiens-toi solidement appuyé
aux infinis

Et surtout
ne réveille pas les monstres
laisse rêver ceux qui sont endormis
laisse dormir le Destructeur-de-monde
et le Cultivateur-d’envie
laisse dormir Fureur-et-Folie
Ne réveille pas les monstres !

Quand la nuit appelle
glisse-toi en silence
dans les habits de l’ombre
et ouvre la porte sans trembler
ne quitte pas le sommeil
et ne fais pas grincer le parquet
Ne réveille pas les monstres !
Quand la nuit tisse
des rêves de braise et de fumée
quand la nuit fait résonner
ses voix multiples et aguicheuses
ne quitte pas les rues illuminées
et ne cherche que les regards
qui brillent.
Perds connaissance
si tu veux
S’il le faut
fait même crier ta peau
mais ne réveille pas les monstres
n’accepte rien de la pénombre
et cache bien tes crocs
surtout ne réveille pas les monstres
ne te laisse pas posséder
par les fantômes du passé
ni par les rêves d’autrui
sois libre sois terrible
sois insoumis
mais ne réveille pas les monstres !

Quand une jeune fille
du haut de son innocence
éveille en toi un désir sans fond
et jette dans tes flammes
son corps fragile
tiens-la tendrement
aime-la sans retenue
mais surtout
Ne réveille pas les monstres !

Ne réveille pas
le Prédateur aux dents acérées
Ne réveille pas le Reptile au sang glacé
laisse dormir le Vampire que tu es
ne leur concède aucune morsure
Laisse-les rêver
Ne réveille pas les monstres !

Quand la ville assoiffée
déborde ton espace
et que la foule innommée
t’enveloppe de sa violence
regarde seulement la beauté
et chérit toute vie qui lutte s’agite
et parfois fleurit.
Quand quelqu’un écrase ton pied
et tes côtes sont bleuies
par l’amertume des coudes
retiens seulement la chaleur
et accepte en toi
toute cette altérité

Ne réveille pas les monstres !
Ne réveille pas l’Agresseur
ne réveille pas l’Agressé
Laisse dormir Celui-qui-se-défend
laisse dormir le Robot le Rouage
et le damné
Ne réveille pas les monstres !

Si une couleur nouvelle envahit
tes rêves
et le monde dans ton regard
s’emplit de secrets
si toutes tes pensées s’échappent
dans un monde neuf et mystérieux
fixe les objets
jusqu’à ce qu’ils disparaissent
abandonne tout ce qui te retient
et ne crains pas l’étrangeté
sois sensible liminal singulier
et ne réveille pas les monstres !

Noie dans son sommeil l’Incrédule
et noie l’Illuminé
laisse dormir le Raisonnable
et laisse dormir l’Halluciné
laisse dormir
Celui-qui-ment
et Celui-qui-sait
Ne réveille pas les monstres !



Quand la chance t’est contraire
et les signes s’allient
pour ton extinction
quand tous tes pas trébuchent
et les sourires se détournent
empêchant ton apparition
reporte les choses importantes
au lendemain
ne fais rien
ne cours pas
ne t’agite pas
attends !
ne fais rien
la vie te retrouvera
ne fais rien
Ne réveille pas les monstres !

Laisse dormir la Victime
le Chercheur-de-faute
et l’Inquisiteur
Laisse dormir le Juriste
et le Procureur
laisse dormir
le Constructeur-de-murailles
laisse dormir le Prisonnier
laisse dormir le Geôlier


Ne réveille pas les monstres !
ils sont tout aussi utiles dans leur sommeil
Ne réveille pas les monstres !
Laisse rêver ceux qui sont endormis !

Il y a toujours un chemin qui se dessine
où tes pas prennent vie
il y a toujours un chemin qui t’appelle
et que malgré toi tu construis

Alors ne réveille pas les monstres
Nourris-toi seulement de leur rêves
c’est là que réside leur magie

Un arbre après l’autre
le chemin change et le ciel s’éclaircit
emplis-toi de la lumière qui chante
et abandonne-toi à la beauté du jour
et à la beauté de la nuit
Et ne réveille pas les monstres !






jeudi 3 janvier 2013

Un pas


Entre toi et l'autre, il y a un monde. Mais un monde, ce n'est rien. N'oublie pas que de tout ce que tu crois tenir il ne restera rien, ni poids, ni trace. N'oublie pas que la mort viendra réclamer tous les possibles que la vie t'a prêté. Oui, elle viendra déchirer les feuilles de ton agenda, tordre les aiguilles de ta montre et faire cesser tes calculs et tes pensées. N'oublie pas qu'elle viendra. Alors fais un pas, encore un pas de côté. L'ombre n'est pas l'absence de lumière. Le rêve n'est pas le manque de réalité. Dans ce vide que tu crains s'est posée ton éternité à attendre le moment de ton éveil, à attendre que tu fasses un pas. Je sais que tu as connu mille craintes et que tu t'es réfugié dans mille vérités. Mais tout cela s'en est allé, emporté par la tempête que de toutes tes forces tu as appelé. Et pour toi elle est venue, terrible dans sa majesté. Son souffle a brisé ta carapace et sa morsure a réveillé ton cœur. Depuis elle accompagne tes gestes et éclaircit ton esprit. Et elle chuchote à ton oreille : Encore un pas. Tu les verras, ce monde vif et cette terre illuminée. Tout verras l'univers uni, entier et tout se déploiera en toi et hors de toi, rêve sur rêve, lumière de la lumière. Mystère des mystères, à toi-même tu seras révélé. Il suffit d'un pas.