dimanche 2 mars 2014

Nomade


 
J'habite les recoins où tu n'oseras jamais regarder.
J'habite le sang entre les coups de sabre et le champ de bataille.
J'habite le rythme entre les pas et la marche.
J'habite la sécheresse entre les gouttes de l'averse.
J'habite l'accélération au cœur de tout ce qui est immobile.
J'habite l'espace inaccompli entre ton lit et ta chambre.
J'habite le souffle entre tes mots et tes lèvres.

Tout est neuf.
Et rien n'a changé.

Nomade.


J’habite le vide qui unit les mondes.
J’habite un serpent entre la morsure et le venin.
J’habite les instants qui dévorent les secondes.
J’habite le rail entre le voyage et le train.

Envoie tes polices. Envoie tes armées.
J’irai là où porte mon regard.
Je deviendrai le paysage qui traverse tout
Et par tout est traversé.

Erige tes murs et plante tes frontières.
J’irai là où porte mon regard.
Je deviendrai nuage portant le ciel
Et par le ciel emporté.

Envoie ton dieu, ses enfants et ses valets.
J’irai là où porte mon regard.
Je deviendrai silence pour déchirer
La pensée de ceux qui ont arrêté de penser.

Envoie tes vestales et tes putes sacrées.
J’irai là où porte mon regard.
Je deviendrai la tentation pour être tenté
Et par les désirs, arraché.


Nomade.

Tout est neuf et rien n'a changé.


J’habite l’enclume entre la forge et le bouclier.
J’habite le bœuf entre le paysan et la prospérité.
J’habite le levain entre le pain et le boulanger.
J’habite le geste entre la solitude et la beauté.

Je te donne tout cela. Je te donne tout ce que ton regard peut embrasser. Je te donne la terre, la mer, les monts, les vallées. Je te donne le ciel, les nuages, les astres, le jour, la nuit. Je te donne tout ce qui est à moi et que je ne possède pas. Je te donne tout ce qui te revient de droit. Je te donne ce qui est à toi. Je te donne cet univers auquel tu appartiens. Je te donne le rêve, l’envol et l’esprit. Je te donne la joie, l’amour, la vie. Je te donne l’origine, ta fin et tes débuts. Je te donne ton corps, tes désirs et ta liberté. Je te donne la parole, tes mensonges et ta vérité. Je te donne tes peurs, tes blessures et ta solitude. Je te donne ton ivresse, ta responsabilité et ta finitude.

Nomade.

Tout est neuf et rien n'a changé.

J’habite la saveur entre l’épice et le goût.
J’habite les armes entre la souffrance et la révolution.
J’habite la tension entre la flèche et la cible.
J’habite la noyade entre le crime et la rédemption.

J’ai entendu une voix qui roulait sur le versant obscur de la montagne. J’ai entendu une voix qui disait : «  Tu lâcheras tout. Tu abandonneras tout. Tu verras tout se dissoudre dans la lumière. Tu verras la fin avant qu’elle ne s’abatte et tu sentiras l’aube avant qu’elle ne surgisse. Tu mourras à l’heure prévue. Mais tu renaîtras contre toute attente. Tu renaîtras vide. Tu renaîtras autre. Tu renaîtras sans limites. Après avoir connu la peur, tu connaitras la joie. Et tu seras sans désirs. Tu seras sans rêves. Tu seras sans mensonges, sans reflets, sans possessions. Tu seras sans histoire, sans futur, sans passé. Tu seras sans couleur, sans haine, sans poids. Sans allégeance, sans défiance, sans attachements. Sans espoir, sans chemin, sans ornements. Tu seras sans doutes, sans forme, sans hésitation. »

Nomade.      

Tout est neuf et rien n'a changé.

Il y a quelque part
Une flamme qui ne s’éteint pas
Une eau qui ne s’écoule pas
Un air qui ne se mélange pas.

Il y a
Un cœur qui ne bat pas
Un œil qui ne voit pas
Une oreille qui n’entend pas.

Le monde est immense.

Il y a quelque part
Une obscurité faite de lumière
Une plénitude faite de vide
Une musique faite de silence.

Il y a dans ce monde
Une beauté nimbée de mystère
Des êtres qui diffusent la magie
Il y a
Des dieux qui n’écoutent aucune prière
L’implacable élan de la vie.

Le monde est immense.

Il y a quelque part
Un rêve dont on ne se réveille pas
Un pays dont on ne revient pas
Une chute au bout de laquelle on ne s’écrase pas.

Il y a quelque part
Des arbres qui savent marcher
Des animaux qui savent parler
Des hommes qui savent rêver
Des femmes qui savent voler.

Croyez-moi
Le monde est immense.


J’habite la mesure entre la voix et l’écho.
J’habite la musique entre la corde et le silence
J’habite la sueur entre le désir et la peau
J’habite les râles entre le plaisir et la jouissance.
                                             

Nomade.      

Tout est neuf et rien n'a changé.

Dévoile ! Des voiles et des voiles.
à perte de vue,
jusqu’à l’horizon.

Des voiles en partance
emplies de fougue,
d’audace et de vent.

Des voiles et des voiles et des voiles.
blanches, légères et arrondies.

Des voiles enceintes
d’ailleurs,
tendues vers les lointains.

Dévoile ! Des voiles et des voiles
qui m’emmènent,
me dénomment
et m’offrent
au bord abyssal du temps.

Des voiles ! Dévoile !
dévoile ta douce peau terrestre,
dévoile pour moi ton corps voyage,
ton corps chemin,
sillage d’un univers
arraché.

Dévoile ! Des voiles ! Des voiles !
tes orgasmes et tes tremblements,
tes râles et tes chuchotements
et l’envol qui me vide
m’emplissant,
la chute qui me nomme
m’abolissant,
et je ne suis plus que
cet humble espace,
qui dans les voiles ventrues,
accueille le mystère du vent.

J’habite le papillon entre le rêve et les battements d’ailes.
J’habite la foudre entre la flamme et l’étincelle.
J’habite l’angle mort entre l’œil et la vision.
J’habite l’éternité entre inspiration et expiration.


Nomade.      

Tout est neuf et rien n'a changé.


Il y a dans la vie des instants magiques où il n’y a rien. Tu emballes ce qu’il te reste d’affaires. Tu ranges tes livres dans des cartons. Tu mets tes vêtements dans des sacs qui ne te ressemblent pas. Et tu regardes calmement l’espace s’écrouler. Il n’y a rien. Tu n’as plus aucun moyen de te définir. Il n’y a plus un lieu au monde que tu puisses nommer. Enfin. Il n’y a rien. Il y a dans la vie des instants où il n’y a rien. Tu laisses partir l’être aimé et tu regardes son dos tremblant se fondre dans le paysage. Tu cherches tes souvenirs mais rien ne te vient. Ton cœur s’effiloche hors de ta propre tristesse. Et tu observes calmement ton éternelle solitude. Il n’y a rien. Il n’y a plus de refuge, plus de lest, plus de mots pour te rassurer. Enfin. Il n’y a rien. Il y a dans la vie des instants magiques où il n’y a rien. Tu cherches du regard la côte du pays que tu viens de quitter mais la mer t’a déjà enveloppé de sa brume. Tu voudrais saluer ceux que tu as laissés sur le rivage mais tes gestes ne peuvent remonter le temps et ton avenir n’a pas encore de visage. Et tu tournes calmement tes yeux vers le temps qui vient. Il n’y a rien. Plus aucun bateau ne pourrait te ramener. Tu seras libre, à jamais étranger. Enfin. Il n’y a rien.


J’habite l’aveuglement entre le reflet et la lumière.
J’habite l’homme entre le dieu et la prière.
J’habite le verbe entre la parole et la poésie.
J’habite l’incroyant entre le prophète et l’hérésie.

Nomade.      

Tout est neuf et rien n'a changé.


Il est temps de mourir ici et laisser s’éteindre les espaces. Il est temps de mourir pour commencer. Penser la limite de la pensée et nu, voir le monde nu. Il est temps de mourir ici et retrouver un temps sans direction. Laisser les formes se suicider dans leurs masses inutiles. Il est temps de mourir ici et libérer la vie. Rompre toutes les attaches pour naviguer les flux de l’immense. Il est temps de devenir aile et rire et joie et poussière. Il est temps de se souvenir de soi, de la terre et de l’oubli. Il est temps de s’éveiller danse, lumière et furie. Il est temps de chevaucher les dunes. Il est temps d’embrasser le vent. Il est temps de tutoyer les étoiles.

Intact. Arriver entier et repartir entier. Uni à un monde entier avant soi et entier après soi. Intacte ! La terre que tu quittes. Intacte ! La nature que tu trouves. Intact ! Le cœur que tu emportes. L’amour que tu laisses. L'amour que tu reprends.


Nomade.      

Tout est neuf et rien n'a changé.



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