jeudi 16 décembre 2010

Ludivine

Quand j'ai rencontré Ludivine, j'étais jeune et je n'étais pas d'ici. Je l'ai embrassée sur un parking dans une ville de banlieue. Je me souviens encore de cette fille fragile, si belle dans son manteau rouge, tremblante dans la nuit. Je me souviens de ses lèvres douces et brûlantes et de sa solitude insondable. Des années plus tard, dans un appartement du 22 rue de la Folie Méricourt, au cours d'une soirée, j'ai eu une étrange vision et je me suis rappelé d'elle. Au détour d'une conversation, j'ai découvert que j'étais entouré par ses amis que je n'avais pas connu à l'époque. J'ai eu alors de ses nouvelles. Et puis, j'ai oublié. Le temps est passé. J'ai perdu de vue beaucoup de personnes pendant ces années. Parfois cinq ans semblent comme des millénaires à l'aune du souvenir. Tant de choses se sont passées. Et certaines s'effacent ou sont enfouies, pour que le temps continue de s'écouler et se nourrir de nos expériences, de nos sentiments. Mais rien n'est jamais effacé. Au moment voulu, tout revient. Une nuit, en manque, attendant le dealer en compagnie d'un ami, d'une jeune fille qui s'appelait Sarah, belle et torturée et de quelques personnages qu'on ne croise jamais dans la vie réelle, des images de Ludivine sont venues me hanter. Je ne sais pas si c'est à cause de Sarah ou de l'inquiétude que je ressentais. Même si ressentir est une chose incongrue quand tu es en état de manque, dans le froid, troublé par l'incertitude d'avoir ta drogue, te soigner et planer dans le vide infini. Quelques minutes avant, mon ami, regardant les visages tremblants des individus improbables qui nous entouraient, en sueur, grelottants et silencieux, m'avait dit: "Maintenant, ici, nous sommes dans le fond le plus obscur de tous les bas-fonds de la société." C'était comme une prise de conscience. Il y avait une limite au-delà de laquelle nous ne pouvions pas nous permettre d'aller. Mais pour Sarah, je n'ai rien pu faire. Jour après jour, j'ai vu la lumière la quitter et sa beauté se faner. Comme d'autres, je l'ai perdue de vue et je n'ai jamais cherché à connaître la suite de son histoire.
Quand j'avais rencontré Ludivine, je savais à peine ce qu'était un joint et je ne connaissais rien à la drogue. Mais sa présence était comme un signe sur mon chemin. J'avais appris donc, bien plus tard, qu'elle est morte peu de temps après notre rencontre, dans des circonstances obscures, d'une overdose d'héroïne.

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