Un jour, un nouveau soleil se lèvera, au-dessus
de toi, au-dessus de moi, de tes voisins et de mes voisins. Un jour un nouveau
soleil se lèvera de nous et au-delà de nous, pour nous et malgré nous. Et même
si entre-temps nous aurions consumé nos corps et nos squelettes auraient
blanchi au-delà de toute lumière, un jour, un nouveau soleil se lèvera pour nos
descendants et les quelques gestes que nous aurions réussi à inscrire dans les
airs.
Un jour, un nouveau soleil se lèvera, sur une
terre qui ne voudra plus compter ses blessures. Le ciel embrassera alors ses
nuages et éclatera bleu sur bleu sur bleu, scintillera de mille feux où
transparaîtront tous les possibles et se dessineront tous les horizons.
Un jour, un nouveau soleil se lèvera, armé de
lumières millénaires, de rêves anciens et de tous les espoirs à venir. Et nos
esprits, quand nous, nous aurons disparus depuis longtemps, viendront se mêler
au chant nouveau qui s’élèvera sur le monde de nos héritiers.
Un jour, un nouveau soleil se lèvera, parce que
certains l’auraient rêvé, parce que certains au cœur de l’obscurité
l’auraient espéré, parce que certains auraient prié pour sa venue, parce que
certains l’auraient forgé par leurs actes et leurs pensées.
Inéluctablement, un jour, un nouveau soleil se
lèvera des entrailles tumultueuses de l’aube, embrasant les souvenirs encore
frais de la longue nuit. N’en doutez jamais ! Même au-delà de vous, par-dessus
vos tombes et par-dessus vos illusions, un jour, un nouveau soleil se lèvera.
« J’avais longtemps
regardé le monde comme on m’a appris à le regarder. J’avais longtemps regardé
le monde comme un ensemble de choses qui se côtoient, l’une à côté de l’autre,
séparées. Et il était facile de détourner le regard, de passer d’une chose à
l’autre, de regarder seulement ce qu’on voulait regarder. Et d’oublier le reste
comme si ça n’avait jamais existé.
J’avais longtemps
regardé le monde comme on m’a appris à le regarder. Mais un jour, dans mon
regard, le monde s’est arrêté. C’était peut-être la fièvre, ou peut-être
étais-je amoureux. J’étais peut-être trop triste ou immensément heureux. Le
monde dans mon regard s’est arrêté. »
Un jour, un nouveau soleil se lèvera, je le
sais, autant que vous le savez. Ce n’est pas une prophétie et ce n’est pas un
souhait. C’est juste un fait, une indiscutable réalité. Je le sais autant que
vous le savez.
Un jour, un nouveau soleil se lèvera, non pas
comme une vengeance, non pas comme une rétribution, mais comme un souffle
amoureux qui ne peut être éternellement retenu. Comme les nouvelles fleurs du
printemps percent la neige pour éclore dans la proximité du ciel, un jour, un
nouveau soleil se lèvera.
« Il n’y a pas
d’objet. Il n’y a que cette habitude de tout figer. Ça semblait plus simple,
parce qu’on aime extraire, agencer, manipuler. Il n’y a pas d’objet. Il n’y a
que l’illusion du discernement et l’espoir de la clarté. Dans le monde arrêté,
j’ai perdu mon regard. Mes yeux me trahissent, me suis-je dit. Et j’ai
senti venir la panique. Tous les contours devenaient flous. Comme une peinture
qui déteignait, qui coulait hors de ses limites. Plus rien n’était clair. Plus
rien n’était discernable. Aucune chose ne se découpait sur autre chose. Face au
monde arrêté mes yeux n’étaient d’aucune utilité.
Il n’y a pas d’objet.
Empêtré dans mes habitudes. Tout me paraissait incompréhensible et
s’effondrait. J’avais toujours appréhendé le monde d’abord à travers mes yeux.
Parfois le monde est si beau, fascinant à regarder. Tout me semblait si vrai.
C’est si facile de montrer les choses. Plus facile que de les sentir. Plus
facile que de les toucher. C’était terrifiant de découvrir qu’il n’y a pas
d’objet. Mes yeux ne m’étaient d’aucune utilité. Alors j’ai fini par me
résoudre à les refermer. »
« Comme rêver. Les
yeux fermés. Je sais que rien n’a vraiment disparu. Et je ne suis pas tout à
fait caché. Je sens un peu mieux la couleur de l’air sur ma peau. Je sens un
peu mieux le mouvement des odeurs dans mes narines. Rien ne s’est éteint. Tout
surgit. La danse des sons ne connait plus d’extérieur. Et le goût de l’espace
se découvre de nouvelles saveurs.
Comme rêver les yeux
fermés. Se mouvoir dans le sommeil du prédateur. Tous les sens enfin éveillés
mais sans rien guetter, sans calculer les trajectoires, sans craindre de
concurrence, sans flairer de danger.
Comme rêver. Les yeux
fermés. Laisser se déployer le soi hors de soi. Laisser s’immiscer le monde à
l’intérieur du monde. Je ne fuis rien. Je laisse tout échapper. Comme rêver.
Les yeux fermés. D’un pas assuré. Je m’avance dans la chaleur du silence, vers
cette lueur qui respire là-bas, devant moi. »
Un jour, un nouveau
soleil se lèvera pour offrir généreusement sa lumière à tout ce qui vit et à
tout ce qui est, sans distinction. Un jour, un nouveau soleil se lèvera et
indifférent, il suivra sa propre trajectoire sans guetter ses reflets, sans
attendre de salutation.
Un jour, un nouveau
soleil se lèvera.
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