mardi 11 janvier 2011

Un beau pays.

Un beau pays, n'est-ce pas, Roger? Dans ton hôtel construit sur des cadavres, tu étais bien, non? Tous les jours on changeait l'eau de ta piscine, alors que quelques kilomètres plus loin, des familles ne pouvaient arroser leurs champs et leurs vergers. C'est bien de pouvoir se payer pour une poignée de dollars ou d'euros de jolies adolescentes et de fougueux adolescents. Mais tu ne pouvais percevoir les larmes qu'ils retenaient. Oh! Un beau pays, Roger! Toi, qui chez toi, est esclave, ici, tu es traité comme un roi. Pauvre de toi, Roger! Tu ne veux peut-être pas savoir. Comme je te comprends. Nous avons tous besoin de vacances. Même la colère, même la conscience. Mais ce ne sera pas maintenant. Peut-être un jour, mais pas maintenant.


Ce peuple a accueilli tout le monde, accepté tout le monde. Et contre tous a lutté calmement. Au début, des dieux anciens ont foulé cette terre, puis des dieux nouveaux, et des monstres comme tu n'en a pas connu. Vinrent des bêtes, des hommes comme des bêtes, puis des hommes-bêtes, et des hommes ensuite qui réinventèrent le monde en le découvrant. Tous sont passés, tous sont partis. Et la terre est restée et a gardé leur mémoire. Vinrent des hommes de partout. Naquit Carthage du rêve des exilés et elle brûla pour rester dans les espoirs des opprimés. Puis se nourrirent les romains du sol généreux avant que ne viennent les vandales pour tout égaliser. Cinquante tribus arabes sont venues fonder des mythes, des avenirs et une civilisation. Et tout tomba sous le joug des héritiers ottomans. Débarquèrent alors les colons et nous apprîmes le français, l'italien et l'allemand. Tous furent accueilli avec l'hospitalité légendaire de cette terre. Tous sont passé en laissant du sang ou du rêve ou un arbre ou une chanson. Cette terre toujours vendue, toujours marchandée, volée, arrachée. Et toujours vivante, toujours intacte, toujours retrouvée. Cette terre dont le chant ancien vibre immaculé dans la musique de ses fêtes et dans le rire de ses enfants. Cette terre qui parle dans les corps de ses hommes une langue douce et solide.


Cette terre aujourd'hui veut hurler. Elle veut cracher sa colère au visage de ceux qui veulent la bafouer, ceux qui prennent sans rien donner. Ceux qui vendent des arbres qui sont à elle sans rien lui demander. Cette terre a beaucoup supporté et a nourri sans rechigner toute sorte d'hommes à son sein. Mais cette nouvelle espèce de charognards, cette engeance de parasites, elle n'en veut pas. Elle a beaucoup consenti au joug pensant qu'un jour les chaines s'allègeront. Mais aujourd'hui elle veut nourrir ses seuls enfants. Que son eau coule douce pour ses enfants. Que son sol soit fertile pour ses enfants. Que ses vents soufflent pour le bonheur de ses enfants. Que sa beauté apaise les douleurs de ses enfants. Que sa richesse soit pour les fêtes de ses enfants. Que l'ombre de ses arbres soit pour le repos de ses enfants. Et elle pleure quand ses enfants meurent sous les balles d'autres de ses enfants, alors que l'oppresseur se vautre dans la soie qu'elle a produit, entouré de tout ce qu'il a volé.


Tous sont passés. Tyrans ou éclairés. Tous se sont pavanés ou marché en toute humilité. Mais tous sont passés. Et la terre est là. Elle reste pour une éternité. Tout revient en elle et elle garde une mémoire qui ne peut être niée. Carthage aussi a brûlé et les œuvres de Rome se sont éteintes. Les blessures qu'a infligé le colon vont un jour cicatriser. Qui sont-ils ceux-là qui croient régner pour l'éternité? Qui sont-ils ceux-là qui pensent que la terre va leur accorder son infinie miséricorde et l'impunité? Ils vont tomber. La terre l'avait dit. Et maintenant elle va le hurler. Avec le souffle de ses enfants elle est solidaire. Et elle portera leur rêve contre ces fous sanguinaires, contre ces inconscients. En larmes, en colère, elle promet qu'ils vont tomber.


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