mercredi 11 septembre 2013


Quand Thomas cessera d’attendre…





Quand Thomas cessera d’attendre, il vaudra mieux que le monde soit prêt. Il n’y aura plus aucun endroit où se cacher. Quand Thomas cessera d’attendre, il faudra vider toutes les bouteilles dans l’évier, il faudra cacher les prostituées. Il faudra accrocher un fusil à chaque mur, mettre un pistolet sous chaque oreiller.



            Quand Thomas cessera d’attendre, les soldats se tiendront alignés, leurs uniformes propres, leurs bottes bien cirées. Les banquiers trembleront de peur. Les frontières seront patrouillées et les pharmacies assiégées.

           

Quand Thomas cessera d’attendre, il faudra être prêt. Les épouvantails arpenteront les champs, les corbeaux picoreront les étoiles. Des chiens fous garderont les routes et aucun chat ne s’aventurera dehors après minuit.



Quand Thomas cessera d’attendre, je monterai peindre la lune rose pâle. J’accrocherai des guirlandes à la voûte du ciel et ferai pleuvoir des confettis. La moitié de la ville prendra le maquis et l’autre moitié ira danser la tarentelle sur les quais.



Quand Thomas cessera d’attendre, Carole détachera ses nattes et nue dans ses chaussures rouges, elle conduira une parade d’anges ivres sur les boulevards au son d’une musique turque enfiévrée.



Quand Thomas cessera d’attendre, les débits de boisson serviront de l’humour dans de grands gobelets et tous les fast-food ne vendront plus que des ampoules colorées dans du pain rassis. Il n’y aura plus de places pour se garer car j’aurais jeté les clés de toutes les voitures dans le fleuve. On ne pourra plus se parler qu’en chuchotant parce que les rires des enfants empliront l’air et couvriront tous les bruits.



Quand Thomas cessera d’attendre, les toucouleurs déposeront leurs rêves sur le comptoir et danseront jusqu’à s’écrouler, ivres de joie et de présent. Ils tituberont dans la nuit, chantant sans se cacher, des histoires d’amour de leurs pays.



Quand Thomas cessera d’attendre, je me percherai sur le plus haut clocher et reposerai mes ailes un instant, avant de rejoindre l’envol général dans le ciel retrouvé. Aïda noircira de khôl ses jolis yeux et nue sous son sefsari, elle conduira vers la mer une parade de clowns amoureux, au rythme de tambours inspirés.



Quand Thomas cessera d’attendre, on arrosera les fleurs de whisky et on boira du vieux bourbon dans des bols gravés. Nous serons toujours gais. Nous ne serons jamais soûls. Nous ne mangerons plus que de la lumière et nous serons à jamais rassasiés.



Quand Thomas cessera d’attendre, Jacob descendra de son échelle pour aller planter des rosiers le long de nos souvenirs. Rien ne nous séparera plus de la fraicheur de l’oubli et personne ne nous empêchera plus d’aller danser à n’importe quelle heure dans le dortoir des filles.



Quand Thomas cessera d’attendre, je mettrai le feu à mon impatience et j’irai retrouver Sara au bord de la mer. Nous deviendrons enfin pélicans pour réunir l’eau et l’air dans nos êtres flamboyants.



Quand Thomas cessera d’attendre, je remonterai, comme je l’ai promis, le boulevard, à contre-sens, nu, à dos d’âne, en chantant des chansons paillardes. Je ramènerai, en le tirant par l’oreille, un lion féroce pour qu’il se couche au pied de la grande horloge qui grince et retarde.



Quand Thomas cessera d’attendre, je prendrai de longues, longues vacances. Je planterai mon parasol au bord du cratère du Kilimandjaro et je chanterai faux des chansons de variété jusqu’à ce que le volcan se réveille. Je ferai cuire des merguez dans la lave et j’inviterai les Masaïs à un barbecue. Les bières seront tièdes mais ce ne sera pas très grave.



Quand Thomas cessera d’attendre, il y aura un embargo sur les cordes de guitare et les luthiers seront pris en filature. Les micros seront passés sous le manteau. Les jacks seront des joyaux de famille. Et je m’enrichirai en vendant des amplis au marché noir.



Quand Thomas cessera d’attendre, je lâcherai mon fantôme dans les quartiers chics de la capitale, il sera beauté et moquerie. Il cassera les vitrines et marchera au plafond. Il intriguera les femmes et fera peur aux enfants.



Quand Thomas cessera d’attendre, Lily ne parlera plus de New-York et aimera enfin ses seins. Debout, nue sur des échasses, elle conduira un troupeau de girafes vers la rédemption.



Quand Thomas cessera d’attendre, on verra les coyotes venir dans les bars branchés. Accoudés aux comptoirs, ils deviseront cordialement sur la production musicale et les derniers succès littéraires. Les vautours se percheront au-dessus des marchés et discuteront des solutions pour baisser le prix des légumes biologiques.



Quand Thomas cessera d’attendre, je deviendrai sage et modéré. Je ne m’enflammerai plus pour personne. Je n’aurai plus aucun désir et je ne me noierai plus dans le manque. Mon dealer me remboursera les drogues que j’aurais consommées sans plaisir.



Quand Thomas cessera d’attendre, nous abandonnerons le temps qui passe pour regarder le temps qui vient. Nous resterons maîtres de nous-mêmes face à l’immensité du rêve. Nous serons sans peur, sans attaches et insouciants. Nous serons beaux et désinvoltes. Nous serons, à la fois, prudents et inconscients. Nous serons solidaires. Nous serons solitaires. Nous nous poserons sur les plus hautes branches. Et puis nous chanterons doucement.





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