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Je sens venir l’obscurité. La nuit tombe soudain comme
un voile. Je prends alors conscience de ma propre peur, une peur animale,
incompréhensible. Elle me découpe en deux, puis en quatre, en huit. Elle me
divise à l’infini sans que je sache d’où elle peut bien naitre, ni ce qu’elle
montre. Je reste là, face à ces deux êtres surnaturels, magnifiques et
terribles. Dans leurs yeux une lumière inexplicable que l’obscurité a révélé.
Je suis pris dans leurs regards, aveuglé, incapable d’avoir la moindre pensée
cohérente. J’entends des chuchotements. Des voix viennent de partout. Mais je
ne discerne aucun mot. La femme opine doucement du chef. Des lianes sortent du
sol et doucement commencent à me toucher, à parcourir tout mon corps, explorant
toute ma peau, roulant sous mes vêtements. Les lianes me serrent, me tiennent
et m’enferment. Je suis soulevé dans un filet végétal. Les lianes me portent
dans le ciel de la clairière. Je suis terrifié mais leur emprise est dénuée de
violence. Elles sont sûres, impérieuses et bienveillantes. Les bras écartés,
le corps droit et immobilisé. Flottant entre ciel et terre, je regarde les
étoiles. Je crois que je n’ai jamais vu autant d’astres dans le ciel, avec
autant d’acuité. Libéré de ma propre pesanteur, j’entends enfin ce que disent
les étoiles. Et je me dissous dans l’infini. Des particules de ce que je
supposais être ma personne se révèlent dans le vide, comme des explosions
sourdes et insignifiantes de sentiments que je reconnais. Peur, perplexité,
abandon, colère, douleur. Et ça ne dure qu’un instant. Je retourne dans l’inconnu.
J’essaie de raisonner, d’expliquer. Ma raison s’effondre ne laissant en moi que
souffrance et égarement. Je hurle : « Silence ! ».
Silence. Tout mon être n’aspire qu’au silence.
Soudain, une voix calme, qui vient de moi et hors de
moi, prononce clairement : « Silence ! » Et tout s’éteint.
Je ne suis nulle part. Je ne ressens rien. Je ne pense rien. Inconscient, je
suis, simplement. Suspendu. Libéré. Je ne sais pas combien de temps cela dure.
Le temps est aboli. J’entends un appel. Est-ce que quelqu’un a prononcé mon
prénom ? Je ne sais pas si j’ai un prénom.
L’instant me trouve marchant dans un
épais brouillard. Je marche sans but. Je flotte peut-être. Je me déplace, je
crois. Je ne distingue rien. Je traverse le brouillard. Je ressens ou peut-être
j’imagine son épaisseur, sa densité. Au bout d’un moment, le brouillard se
lève, s’éclaire. Je vois une lumière et la suis. Je vois un pont et le
traverse.
(A
suivre…)
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