1
C’est
l’heure, comme à chaque fois, comme chaque heure. C’est toujours l’heure. Celle
qu’on attend et celle qu’on n’attend pas. Avec ou sans les alarmes. Avec ou
sans l’appel des minarets ou le chant des cloches, les voix des animaux ou les
bruissements des végétaux. C’est l’heure. Simplement. Voilà ! C’est l’heure
saine ou folle. L’heure où tout se termine et commence. Eternellement.
Continuellement.
Je
devrais cesser de compter les heures. Je devrais cesser de faire attention au
tic-tac des horloges. Je devrais cesser d’égrener le chapelet infini des
attentes et des regrets. C’est ce que je me disais quand un rayon rebelle du
soleil m’a réveillé dans un endroit inconnu où aucun chemin dont je me
souvenais ne pouvait à priori me mener. J’étais couché sous les arbres. Je ne m’y
connais pas en arbres. Je ne saurais pas les nommer. Alors, je dirais que ce
sont juste des arbres. J’étais couché, là, sous les arbres.
Question :
Qu’est-ce que je peux bien faire ici ?
Réponse :
Je n’en sais rien.
Question :
Qui suis-je ?
Réponse :
Quelle est la question suivante ?
2
Tes
rêves d’enfant, belle princesse ! Tes rêves d’enfant ! Qu’en
restera-t-il ? Qu’en restera-t-il pour nous ? Nous, les sans-noms,
les errants, les bannis des clans. Qu’en restera-t-il pour nous, nous les
sans-toits, les sans-chemins, les impénitents ? Quand tout sera consumé
dans l’égoïsme et la mort. Quand tout sera dépourvu de mouvement et d’incandescence.
Que restera-t-il pour nous des rêves de ton enfance ?
Tu
sais, je ne suis pas d’ici et tu ne peux pas comprendre ce que je fuis. Tu
sais, le monde est immense et il y existe des choses, des êtres, des forces que
seuls peuvent connaitre ceux qui s’y frottent. Je suis nouveau ici. Nouveau. Et
je ne comprends pas, ici, tous les êtres et toutes les forces. Je sais que j’en
combattrai certains et m’en allierai d’autres. Et au fond, je m’en moque, je ne
fais que passer. Tu sais, le monde est immense.
Tes
rêves d’enfant, belle princesse, parfois blessent ma peau et perturbent mes
sens. Je me retiens, parfois. Je retiens en moi les velléités du combat et la
soif de violence. Je ne suis pas d’ici. Je sais, avec certitude, que toi et moi
ne voyons pas le même monde et tes rêves d’enfant ont très peu à voir avec les
miens. Les monstres qui peuplent mon monde ne peuplent pas le tien. Mais qu’importe.
Je ne suis pas d’ici. Et le monde est immense.
Je
respire tellement mieux quand il n’y a pas âme qui vive entre moi et l’horizon.
Les morts, je m’en accommode et les disparus et les revenants. Tes rêves, belle
enfant, ne me concernent pas et les terreurs qui les traversent ne sont pour
moi que des contes transmis par les générations. Regarde ! Regarde !
L’herbe est folle par ici et les arbres grondent leur vie. L’espace est devant
moi, sans fin. Je suis libre parce que je ne sais pas comment je me suis
retrouvé ici. N’est-ce pas miraculeux d’être ici, sans conscience, sans nom,
sans identité, avec un nouveau souffle et l’irrésistible envie de marcher ?
Juste marcher. Tu peux regarder la direction où je vais. Et qui sait ? Le
monde est immense.
3
Bonjour
espace ! Nous voilà enfin seuls. Tu peux révéler tes présences. Personne
ne regarde. Tu peux dire tes secrets. Personne n’écoute. Et si la parole me
vient, je chanterai mes rêves de mouvement et mes rêves d’immobilité. En tête à
tête avec tout l’espace, je pose mes pas dans l’infinité des plaines et je vais
où le monde va. Que puis-je faire de mieux ?
J’ai
essayé par principe d’éviter la tempête qui naissait depuis un moment devant
moi. Mais je savais qu’elle m’était destinée et qu’aucun pas de côté ne pouvait
m’épargner sa fureur. Et nous nous retrouvâmes à point nommé. Je n’ai pas
ressenti de crainte. Et ce n’était pas un désagrément. Ce sont les éléments, l’espace
et moi et la nécessité de la discussion. J’aime ces forces sans jugement qui
renforcent ma vie et affirment ma détermination. J’ai avalé un éclair, embrassé
le tonnerre, traversé le vent caressé la pluie. La tempête et moi, nous avons
dansé, nous avons chanté puis nous nous sommes séparés. Nous courûmes sur l’arc-en-ciel,
nous promettant de nous retrouver.
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