vendredi 15 octobre 2010

En l'absence de rose

   J'ai cherché une couleur qui te conviendrait, mais tu n'étais plus là pour choisir. La porte est restée ouverte sur cette rue qui s'écoule, me laissant à mes souvenirs. Mais dans l'impossibilité de les nourrir, je m'oublie, j'oublie. Je croyais te chercher, mais dès que j'ai mis un pied dehors, j'ai perdu mon adresse et contre le flux des rues, je ne pouvais plus revenir. Je crois que la porte est restée ouverte mais je n'ai plus envie de la retrouver. Les lumières dans les boulevards me semblent plus prometteuses, plus attirantes. Il me semble te croiser souvent quand le zinc s'incurve légèrement dans la chaleur des bars. Mais peut-être que ce n'est pas toi. Il faut dire que je ne me souviens plus très bien de la coupe de tes cheveux, de l'exacte couleur de tes yeux.

   En l'absence de rose, toutes les couleurs se compliquent et chacune se rêve arc en ciel et puis pont vers l'horizon. Et moi, qui crois pouvoir tout attraper, je m'engouffre dans tous les chemins et poursuit tous les scintillements. C'est si beau, la nuit dans la lumière, loin de chez soi. Surtout quand on a définitivement oublié le chemin pour retourner chez soi et qu'on a oublié ce qu'est un lit, surtout un lit sans toi. Je ne me souviens plus je crois ni de toi, ni de la couleur de nos draps. Peu importe, parce que celle qui me sourit au bout du zinc, c'est sûrement toi. Même si je ne te reconnais pas. Détrompe toi, je ne te cherche pas et ne cherche pas le chemin pour revenir chez toi, chez nous ou chez moi. Un baiser suffira. Et la nuit est encore jeune, éternelle peut-être, cette fois. je regarde dehors. Et la rue est une folle rivière qui ne meurt pas. Du ciel pleuvent des clochards, des fées et des rois. Je les entends deviser au bord du fleuve et décrire un monde qui ne sera pas. Je titube un peu pour me tenir enfin droit et parmi eux, je me forge une sagesse, affûte mes rêves et brûle sur un autel quelques images saintes que j'ai dû ramasser ici et là.

   En l'absence de rose, je refuse de choisir une couleur pour les étoiles vibrantes, pour le soleil qui découche. En l'absence de rose, patient, je me tiens collé aux murailles. mes dents aiguisées grignotent doucement le béton et la ferraille. Patient, je me tiens, malgré l'altitude, malgré le froid, l'oreille solidaire du rail, sensible aux vibrations. attentif au chant de la terre, aux paroles de l'espace. Attentif à cette voix qui balbutie dans mes entrailles. Patient, je me tiens au milieu du carrefour, me disant: mais bien sûr, il viendra, oui mon prince viendra, mon client, mon mécène. Bien sûr, le diable viendra et contre cette âme il m'échangera des mots qui résonnent, un costume de clown ou une petite couronne. Mais bien sûr, il viendra. Patient, je me tiens sur la plage mazoutée, l'œil scrutant au-delà des vagues, certain de voir venir les conquérants. Ils sont déjà là, j'en suis certain, mais mes yeux ne peuvent pas déchiffrer, encore, la forme de leurs vaisseaux. Mes yeux ne peuvent pas distinguer les couleurs de leurs drapeaux.

   En l'absence de rose, je chantonne en longeant les cimetières et cache mes larmes en fendant la foule, sur la place du marché. En l'absence de rose, je chéris plus mes trahisons que ma fidélité. En l'absence de rose, j'erre dans la ville, je sillonne les campagnes sans but ni destinée. Je marche plus que ne cours, alourdi par toutes ces armes, tous ces costumes que j'aime trimbaler. En l'absence de rose, le noir fait distingué, très seyant mais le rouge fait vibrer tous les cœurs violents. Et moi, je me tiens à mes visions premières, je me tiens, forcé, tout contre mes pulsions primaires. A travers ces blessures, je sens poindre une lumière. Même en l'absence de rose, l'espace est plus bienveillant que ce temps qui me disperse. Le paysage se déploie en moi et au-delà de moi. Je crois que je vais m'y faire. Je crois que je vais y arriver. Je crois que je vais risquer une prière.


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