lundi 22 novembre 2010

Monstre

Comme toi, au début. Exactement comme toi, je marchais sous un ciel rassurant et la terre sous mes pas était tiède et bienveillante. J'ai rêvé comme tu as rêvé et porté par les rêves, j'ai marché un monde, j'ai marché des chemins qui se sont révélés. J'ai connu des inquiétudes, évidemment. J'ai eu peur, quelques fois. Et parfois j'ai pleuré, Mais comme toi, enfant des hommes, j'ai continué à croire, confiant en ce qu'on avait enseigné. Deux et deux font quatre. Le trajet le plus court entre deux point est la ligne droite; J'y ai cru à ce rêve de clarté. Alors quand dans l'obscurité froide de ma solitude j'ai rencontré cette chienne de l'enfer, j'ai été surpris. j'ai été surpris par son regard et j'ai tellement aimé sa morsure. Évidemment, j'ai hurlé! Oui, j'ai hurlé.
La nuit était si belle. Les astres ont tournoyé et les comètes sifflantes m'ont appelé. Oui, moi! Elles m'ont appelé! De l'ombre que je craignais tant, mes visages se sont avancés, et mille démons multicolores. Avec mes nouveaux alliés, l'ivresse de mes aimées, nous avons dansé. Et comment! Oui, nous avons dansé! Oh! comme nous avons dansé! Nous avons vu ce que nous avons vu, fait ce que nous avons fait.
La nuit terrible était mienne, l'enfer, la folie et les bas-fonds, les cauchemars des fillettes, la guerre perpétuelle et la trahison. Du ventre froid de la machine, je naissais, créature sans nom, nimbée de secret. Enfin sans dieu, enfin sans âme, enfin sans pitié. Créature inconnue, enveloppée de nuit, les pieds dans le béton, les mains dans la mécanique, chien entouré de chiens, métal soudé au métal. Créature sans parenté, brûlant, je brulais tout ce que je touchais. Conscient, inconscient, je ne voyais rien. Je ne voyais rien approcher. Mais je me suis attardé, à contempler ses yeux qui appelaient désespérément ma douceur, qui éveillaient ma mélancolie. J'aurais voulu échapper, j'aurais voulu me soustraire à l'aube qui rampais. Mais un empire me retenait et la nostalgie de la lumière. Je me suis vu, alors, image d'image d'image. Un tout mouvant de voiles superposés. Je me suis vu, à briser les miroirs, à terrifier les enfants. Je me suis vu, à me fuir moi-même. Et j'ai erré. J'ai longtemps erré. Et j'ai appris à préserver l'errance, à tromper toutes les attentes. Noyé, je respirais encore. Blessé, je dansais encore. C'était à n'y rien comprendre. Mort, je me battais encore. Brisé, je volais encore. Il n'y avait plus rien à comprendre. Debout, je dormais encore; Rassasié, je me mangeais encore. Ivre, je buvais encore. Vide, je saignais encore. Et encore et encore et encore. Ancien, j'étais jeune encore. Froid, je brûlais encore et encore et encore. Calme, mes démons s'agitaient encore. Raisonnable, ma folie palpitait encore. Et jour après jour, heure après heure, je renaissais, clignotais un moment, m'éteignais puis renaissais. Jour après jour, heure après heure. Jusqu'à ce que j'entende clairement cette voix, d'abord lointaine, puis de plus en plus proche. Cette voix enfin chaude, enfin douce, et elle me disait: "Oublie. Maintenant, oublie! Jamais tu ne retourneras là où tu étais. Jamais plus tu ne rentreras chez toi, parce qu'il n'y aura plus aucun endroit que tu pourras appeler chez toi. Alors, oublie. Et ris, ris à t'en couper le souffle, ris à t'en déchirer les entrailles et ris encore et puis ris un peu plus. Ouvre tes yeux si neufs. Ouvre ces yeux terribles. Et regarde. Tu es là pour voir et être vu. Monstre parmi les monstres. Regarde tes griffes acérées, tes yeux fendus, ta peau tachetée. Pourras-tu encore te dissoudre? Voudras-tu te cacher? Monstre montreur de monstre, voilà qui tu es!" Pourquoi pas, me suis-je dit. Monstre, pourquoi pas.

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