Je n’avais rien d’autre à faire qu’attendre. J’errais dans
cette ville inconnue, jusqu’à l’heure de mon train. Ecrasé par la chaleur
torride, je cherchais l’ombre des petites ruelles mais le soleil de midi était
décidé à me trouer le crâne. Je ne trouvai aucun café où me réfugier. Les
commerces étaient fermés, à l’exception d’une petite boutique sans enseigne.
Dans la vitrine, il y avait des statuettes dont je ne pus deviner l’origine,
des masques terrifiants et anciens et des objets dont je ne connaissais ni
l’usage ni l’utilité. J’étais attiré par la pénombre à l’intérieur espérant
trouver un peu de fraîcheur. Quitte à acheter une babiole quelconque. Quelques
bougies brûlaient ici et là. Il régnait un silence apaisant. La boutique était
fraîche et déserte. Je circulais parmi les étals regardant les masques, les
fétiches et tous ces objets mystérieux. Une petite fille blonde aux yeux verts
brillants apparut de nulle part me faisant sursauter. Elle me regarda fixement
et me dit : « Elle vous attend » en me montrant du regard
une porte que je n’avais pas remarqué et qui s’ouvrit en silence. Je lui
demandai : « Qui m’attend ? ». Elle haussa les épaules
dans un geste dédaigneux qui n’avait rien d’enfantin. Dès que je la quittai des
yeux elle disparut comme elle était venue. Par la porte, j’entrai dans un petit
cabinet. Les tentures sur les murs, les bougies éparpillées, une table ancienne
avec des fauteuils se faisant face donnaient à l’endroit un aspect féérique et
intemporel. Sans réfléchir, je m’assis, caressai le bois. Quand je levai les
yeux une grande dame était debout devant moi. Elle était vieille mais ses
mouvements contredisaient ce que je supposai être son âge. Si ce n’était ce
regard intense, j’aurai cru que c’était une jeune fille déguisée. Sans me
regarder, elle s’assit face à moi. Un chat blond sauta soudain sur la table, me
regarda fixement de ses yeux verts avant de se désintéresser de moi et aller se
coucher sur les genoux de la femme qui le caressa doucement avant de lever les
yeux et me transpercer d’un regard gris-acier dur et terrifiant qui se radoucit
au bout d’un moment. D’un ton maternel, elle me dit : « Je suis
contente que tu sois venu », elle ajouta avec un sourire malicieux «
De toute façon, tu n’avais pas le choix ».
« Tu as déjà
commencé, mais rien n’est fini.
Tu marcheras tous les
sentiers de la guerre
sans jamais trouver la
paix.
Et la guerre t’aimera
comme sa créature, son
amant, sa chose,
son enfant chéri.
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autre.
Et l’amour attendra.
Mon fils,
tu arpenteras les jours
tu arpenteras les nuits.
Seul tu marcheras à la
rencontre des monstres
tu connaîtras les secrets
de la danse
et tu embrasseras les bras
de la folie.
Tu fendras la foule
curieux, doux et inconnu.
Tu chanteras près des
arbres majestueux
mais tu seras rarement
entendu.
Tu entendras la voix du
temps
sans la comprendre
Tu verras les couleurs
vraies
sans pouvoir les décrire.
Tu te noieras dans les
mots
et tu suffoqueras de
silence.
Tu seras plein
Tu seras vide.
Tu seras touché par la
joie
et enveloppé par l’absence
Tu offriras ton rire
et te cacheras pour
pleurer.
Tu seras béni et tu seras
damné
Tu seras haï et tu seras
aimé
et tu ne sauras jamais
quel est le plus difficile à supporter.
Tu voudras ce qui t’es
refusé
et tu fuiras ce qui t’est
donné.
Mon fils,
accepte la tristesse
et ne sois pas triste
accepte les souvenirs
mais abandonne la
nostalgie.
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autres
Et l’amour attendra.
Tu auras des secrets
pour trouver le mensonge
Tu croiseras la trahison
pour rencontrer la
loyauté.
Tu ne mourras pas mais tu
seras tué.
Tu ne saigneras pas mais
tu seras blessé.
Mon fils,
laisse tes peurs s’en
aller
aie de la gratitude
pour la moindre chose qui
t’est offerte
et pour tous les instants
accordés.
Ne te hâte pas de
distinguer
le mal du bien
le clair de l’obscur.
Parfois la vie t’aimera
pour que la mort
puisse te poignarder.
Et parfois la mort te
caressera
pour que la vie
vienne te déchirer.
Quelques fois tu mentiras
seulement pour être cru.
Et tu diras la vérité pour
être
rejeté.
Tu chercheras la corruption
pour pouvoir
contempler la pureté.
Tu fuiras sans être
poursuivi.
Tu resteras quand tu seras
menacé.
Mon fils,
sois rapide.
Mais apprends la patience.
Apprends que la faiblesse
est la vraie force.
Apprends que la réalité
est toujours la réalité
de quelqu’un
et que tout est
mystère insondable.
Mon fils,
sache que toute vie
est complète
rien n’y manque
et rien n’y est fortuit.
Tout est éternel
Tout se transforme.
Jamais rien n’est détruit.
Le désir
dispersera ton âme
et il te faudra
en ramasser tous les
morceaux
pour redevenir entier
pour te rappeler qui tu
es.
Tu traverseras le
souvenir.
Tu traverseras l’oubli
sans jamais te décider
lequel est plus doux.
Je vois en toi
une bête enragée
qui se réveille parfois
pour détruire
mordre
et ravager.
Elle est toi
et elle n’est pas toi
trouve comment l’aimer
comment la dompter.
Je vois en toi
une flamme ancienne
et de jeunes éclairs
qui se disputent
les espaces
alors que leur essence
est la même.
Vois le multiple
mais ne divise pas les
choses.
Tout est un
entier et inséparable.
Tu douteras parfois
de ce que perçoivent tes
sens
Tu feras des erreurs
et à travers ta douleur
tu apprendras
pour devenir plus fin
plus subtil.
Parce que tout ce qui est
vrai est délicat.
La beauté est fragile.
Savoure les rencontres
et apprécie les
séparations.
Ne retiens personne
ne laisse personne te
retenir.
Tous les murs sont érigés
pour chuter
Toutes les prisons sont
construites
pour s’effondrer.
Et être libre
c’est ne plus chercher la
liberté.
Mon fils,
pleure autant qu’il faut
mais garde toujours
au fond de toi
un rire
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autres
Et l’amour attendra.
Tu connaîtras l’affection
et la véritable amitié
Tu connaîtras la chaleur
et la fête sans vanité
Tu sauras offrir
et tu apprendras à
accepter
ce qui t’est donné.
Mais tu seras souvent
isolé
Tu seras perdu et étranger
essayant de te satisfaire
de corps tièdes
et de sourires
contrefaits.
Et tu trouveras quelques
fois
une route pour te ramener
même un moment
là où tu pourras te
reposer
avant que tu ne repartes
dansant de nouveaux
chemins
chantant des airs oubliés.
Le monde est immense
et le temps est profond.
A la vue de tous
des trésors y sont cachés.
Tu pourras, si tu veux,
les trouver.
Mon fils,
ne sois jamais avide
prends juste ce qu’il te
faut
tu auras toujours ce qui
t’est nécessaire.
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autres
Et l’amour attendra.
Longtemps tu poliras des
masques
pour te ressembler.
Tu forgeras des armures
pour te montrer.
Tu affûteras des armes
pour les cacher.
Un jour
tu découvriras
que seul l’homme nu
est invincible.
Et quand tu accepteras la
défaite
tu sauras vaincre
sans combattre.
Tu porteras ta fureur
comme un habit qui te
cache
Tu porteras ta fureur
sans jamais la comprendre
tu seras fou
et tu seras bête
tu nieras ce que tu
connais
et tu maudiras ce qui
t’échappe
Contre le monde tu
lanceras des imprécations
et autour de toi tu
jetteras des sorts
Tu sèmeras les blessures
pour récolter les
douleurs.
Et quand tu auras tout
abimé
quand tu seras entouré de
ruines
quand tu seras lassé de
détruire
quand tu seras écrasé par
la culpabilité
quand tu seras cerné par
l’obscurité
quand tu ne seras que
désespoir et fatigue
tu te laisseras choir par terre
et tu souhaiteras n’avoir
jamais été
tu appelleras la fin
et tu invoqueras la
tempête
pour t’achever.
Et elle viendra.
Oui, elle viendra.
Terrible et indomptable
Elle te tuera
sois en sûr,
et te ressuscitera
pour te tuer encore
dix fois,
non, cent fois
mille fois.
Elle te montrera sa fureur
et sa connaissance de la
fureur.
Elle déchirera tes habits
et écorchera ta peau.
Elle brisera tes membres
et dispersera tes organes.
Elle te tuera
et te ressuscitera
jusqu’à ce que tu ne
fasses qu’un avec elle
jusqu’à ce que tu
deviennes la tempête
seulement alors
elle te crachera
dans une contrée lointaine
dans un monde inconnu.
Et si tu survis
peut-être seras-tu plus
humble
peut-être seras-tu plus
vrai.
Ne sous-estime pas
le mystère
de tout ce qui existe.
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autres
Et l’amour attendra.
Là-dedans,
Là-dehors,
il y a des mondes
superposés
il y a des choses
inimaginables
méfie-toi de l’ivresse du
pouvoir
de la fièvre du contrôle
de l’illusion du savoir.
Là-dedans,
Là-dehors,
il n’y a rien
et ce rien est tout
ne sois pas stupide
ne sois pas avare
tu ne peux rien posséder
tu as tout
chéris ce qui t’est offert
et offre ce qui t’est
nécessaire.
Mon fils,
tu connaitras des
déceptions
tu auras honte
tu auras mal.
Tu passeras des jours à
griffer les murs
et tu passeras des nuits à
te tordre
sur le sol.
Tu trébucheras souvent
et tu tomberas parfois.
Trouve la force de te
relever.
Trouve le courage de
continuer.
Je sais que quelques rêves
te hanteront
et tu t’accrocheras
à quelques idées stupides.
Tu suivras des mirages
dans des déserts
encombrés,
tu suivras des spectres
jusqu’aux confins
de l’insanité.
Tu chercheras
mais il n’y aura rien à
chercher.
Tu t’es déjà trouvé.
Dans le monde,
beaucoup de voix appellent
mais ne crois pas que
toutes les voix
n’appellent que toi.
Dans le monde,
il semble y avoir
beaucoup de chemins.
Ne crois pas que tous les
chemins
mènent quelque part.
Et tous les chemins
réunis,
ne peuvent mener partout.
Une vie est un voyage.
Avec quelques escales,
parfois des
correspondances,
mais seulement deux
ou trois destinations.
Il n’y a qu’une vie
Pourtant il y en a
d’autres
Et l’amour attendra.»
"et l'amour attendra"
RépondreSupprimercette récurrence me semble indispensable à la vie même;
Je trouve ton texte magnifique.
m.